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Friday, 21 May 2010

capitalisme: c'est la crise finale...

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http://www.pauljorion.com/blog/?p=11828

18 mai 2010

L’argent destructeur

Voici la traduction de mon entretien originellement en allemand avec le Dr. Stefan Fuchs qui a été diffusé de 9h30 à 10h00 sur Deutschlandfunk le 9 mai. Les germanophones peuvent toujours écouter le podcast ici

J’accueille toujours avec reconnaissance les entretiens longs parce qu’ils permettent de développer, sans devoir tronquer une partie des arguments, une véritable démonstration.

Traduction française : j’ai pris comme base essentiellement la traduction de Johannes Finckh, la plus proche des mes propos originels en français. Merci à lui, merci aussi à Timiota et Fleurbleue qui avaient unis leurs efforts dans une traduction parallèle.

L’exemple que j’avais donné de trois personnes se prêtant mutuellement de l’argent n’a manifestement pas été compris par le traducteur allemand, qui m’a « corrigé » en parlant d’un triplement de la somme au lieu d’un doublement. J’ai réexpliqué l’exemple, en lui rendant sa cohérence, et du coup, sa rigueur.

L’argent destructeur

Enseignements de l’hypercrise, deuxième partie : Entretien avec le chroniqueur économique Paul Jorion

Par Stefan Fuchs

La crise financière culmine depuis l’automne 2008 dans une crise du capitalisme global. Car la libéralisation débridée des marchés et l’expansion de la division internationale du travail n’ont pas pu tenir les promesses gigantesques de croissance et de prospérité.

Dans la deuxième partie de la série d’entretiens « « Enseignements de l’hypercrise », Stefan Fuchs a eu un entretien avec Paul Jorion sur l’effet destructeur de l’argent. Jorion est chroniqueur économique du journal français « Le Monde ». Economiste structuraliste, il critique la mise sur le même plan de l’argent et du crédit comme une pure idéologie. Le capitalisme actuel serait selon lui à l’agonie.

Stefan Fuchs: Monsieur Jorion, vous étiez parmi les premiers à avoir prédit la crise américaine de « subprimes ». Vous-même travailliez aux États-Unis dans le secteur du crédit, et vous prédisiez dès 2004 une grave crise de ce capitalisme financier américain. L’élément déclenchant de l’hypercrise est selon votre analyse un mécanisme interne de l’économie globale telle qu’elle se développait dans le dernier tiers du 20ème siècle et qui a eu pour effet une concentration de plus en plus forte de l’argent en peu de mains. Comment décrivez-vous ce mécanisme qui conduisit presque à un tarissement de la circulation monétaire et qui déclencha cette crise extrême qui saisit ensuite aussi l’économie réelle ?

Paul Jorion: En comparant la crise de 1929 qui avait débuté aux États-Unis pour devenir alors une crise économique mondiale et la crise à laquelle nous avons affaire depuis 2007, on observe une parenté stupéfiante : la concentration de la richesse économique entre les mains d’une minuscule minorité. En vertu d’un mécanisme économique très simple. Lorsque l’argent n’est pas là où il est nécessaire, soit pour produire dans une entreprise soit dans les ménages pour acquérir des biens durables, ou bien encore parce que le salaire est insuffisant pour vivre du fait que les salaires réels stagnent ou sont même en recul, il faut alors se le procurer par le crédit. C’est une loi aussi implacable que logique : la concentration de la richesse est un processus qui s’autoalimente. Lorsque l’argent est réparti inégalement dans un système économique, cette répartition inégale s’accentuera avec le temps toujours davantage. C’est ce que nous vivons. L’argent n’est pratiquement jamais là où il est nécessaire, ni dans la production industrielle, ni dans la consommation. On doit toujours se le procurer via le crédit. L’argent et son prix ont aujourd’hui un rôle prédominant et qui va se renforçant continuellement. Le système financier dispose d’une omniprésence quasi-divine qui ponctionne un profit sur chaque transaction. Du coup, une part croissante d’intérêts est contenue dans le prix de tous les produits et de tous les services.

Fuchs: Qu’est-ce qui explique cette baisse des salaires réels ? Qui selon vous est responsable de ce processus de concentration ? Est-ce un rapport de forces politique, ou alors y a-t-il des mécanismes économiques ? Qu’y a-t-il derrière cela ?

Jorion: Pour simplifier grossièrement, il y a trois groupes sociaux dans nos sociétés. C’est ainsi que l’on le concevait au 18ème et 19 ème siècle. Il y a les entrepreneurs qui ont le concept d’un nouveau produit. En cas de succès, ils peuvent faire travailler d’autres qui vendent leur force de travail : les ouvriers et les employés. Et puisque le capital n’est pas toujours là où se crée une entreprise, il doit provenir de crédits. Il y a donc ainsi un troisième groupe, celui des détenteurs de capitaux. Dès qu’un gain s’est constitué, généré par la production, il faut le répartir entre ces trois groupes. Le détenteur du capital percevra d’abord les intérêts qui lui sont dus. Il existe ainsi un antagonisme naturel entre détenteur de capitaux et entrepreneur, un rapport de forces, qui détermine la hauteur des intérêts. Quand l’économie va bien, l’entrepreneur abandonnera davantage d’intérêts et de dividendes au détenteur de capital, et moins quand l’économie va mal. Il doit partager le reste avec ses ouvriers. Il y a ici aussi un antagonisme. L’entrepreneur n’est pas disposé à laisser à ceux qui travaillent pour lui plus qu’il n’est nécessaire. Quand ceux-ci sont organisés en syndicat, ils peuvent réduire la concurrence entre eux et présenter un front dans cet antagonisme.

Depuis le milieu des années 1970, il y a cependant eu un facteur qui, au moins dans les grandes entreprises, a modifié radicalement ce jeu de forces. On a introduit le système des « stock options ». La firme de conseil McKinsey menait alors des recherches sur la manière d’éliminer l’antagonisme entre entrepreneurs et capitalistes, comment en faire deux groupes d’alliés immédiats. La réponse : aligner les intérêts des dirigeants et ceux des investisseurs. Le moyen : gratifier les managers d’options sur les actions émises par l’entreprise. Un dirigeant d’entreprise peut exercer ses options au moment de son choix. Naturellement, il ne le fera que quand l’action aura atteint un cours élevé. Il consacrera toute son énergie à ce que le cours de l’action monte, même si cela n’est possible que dans une perspective à court terme ou qui nuit même aux intérêts à long terme de l’entreprise. Les “stock options” marquent le début d’une nouvelle forme du capitalisme accompagnée d’un glissement des rapports de force entre les groupes sociaux. Dès lors, les capitalistes et les entrepreneurs sont alliés. Les salariés se retrouvent face à eux bien seuls. Le rapport de forces ne leur était déjà pas favorable initialement, leur position est désormais affaiblie d’une façon déterminante.

Parallèlement, la financiarisation de l’économie devint massive. Le cours de l’action devient plus essentiel que la production proprement dite. La firme américaine Enron, aujourd’hui disparue, est un bon exemple de ce changement de paradigme. A un moment de son histoire, le produit proprement dit de l’entreprise était devenu le simple cours de ses actions. Grâce à un procédé comptable appelé « bootstrapping » [se soulever en tirant sur ses lacets], le succès de l’entreprise était directement lié au cours de l’action. Lorsqu’une action dépassait une valeur seuil, le profit enregistré par Enron s’accroissait. La production est devenue immatérielle à 100%. C’est le système des stock options qui rendit cela possible. Et parallèlement, il y avait stagnation, voire baisse des salaires réels qui ne croissaient plus avec le taux d’augmentation de la productivité.

Dans ce contexte, le crédit est devenu, surtout aux Etats-Unis, une sorte de salaire d’appoint appelé à protéger contre la chute du niveau de vie et aussi contre un effondrement total de la demande. Mais les crédits signifient le paiement d’intérêts. 5 pour cents ne semblent a priori pas énormes, mais quand on doit payer un crédit immobilier à 5,3% sur trente années, comme cela est courant aux USA, on aura payé en fin de période le prix de la maison deux fois. Pendant ce temps-là, la spéculation poussait toujours davantage les prix immobiliers à la hausse. La valeur d’une maison pour une famille en était venue à correspondre à trente années de revenu disponible. Un prix véritablement astronomique.

Justifiant tout cela se trouvent les théories de l’ordolibéralisme économique qui croit fermement à une autorégulation des marchés et n’autorise à l’État que des interventions minimales dans leur déroulement. Dans la pratique, l’instauration de ce système n’avait été, comme nous sommes obligés de le constater maintenant dans le contexte de la crise, qu’une avancée par essais et erreurs, quasiment une vaste expérimentation de laboratoire sur l’économie mondiale. On dérégule et on verra bien ce qui se passe. Les effets apparaissent avec un certain décalage dans le temps, et quand on peut les observer, il est alors beaucoup trop tard. Il n’y a pas que dans le cas de la catastrophe climatique que l’on à affaire à des phénomènes irréversibles, c’est vrai aussi dans le champ économique.

Dans les années 1980, quand ces théories avaient été mises en pratique, on n’a pas eu une conscience claire de ceci : un système économique bâti sur le crédit multiplie les risques. Dans un système économique piloté par le crédit se constituent des chaînes d’emprunteurs, A doit à B qui doit à C et ainsi de suite. Quand un crédit fait défaut, toute la chaîne s’effondre à partir de celui qui fait défaut, comme des dominos. Contre le risque, l’industrie financière avait développé, avec son inventivité inépuisable, des instruments nouveaux, les fameux et problématiques “credit default swaps” ou CDS, des assurances de défaut du crédit. Mais, au lieu de contrôler ainsi les risques, ces instruments génèreront à leur tour des risques nouveaux. Car on peut les utiliser pour spéculer, on peut par exemple parier sur le fait que les obligations grecques se déprécieront. Tant pis pour celui qui aura mal spéculé. Exemple l’assureur US “AIG”. Perte pour le contribuable américain : 182 milliards de dollars, du même ordre que le sauvetage de “Fannie Mae” et “Freddie Mac”.

Fuchs: Je voudrais revenir sur la perspective de la majorité de la population. Dans un tel contexte, elle est mise à contribution deux fois, une première fois parce que sont déjà inclus dans les prix une grande part d’intérêts, et une deuxième fois en raison des crédits qu’elle doit souscrire afin de compléter un salaire insuffisant, ce qui signifie qu’on la fait payer à deux reprises.

Jorion: Dans les faits, débute à la même période, autour de 1975, l’introduction de la micro-informatique qui rendait possible une véritable explosion de la productivité. Mais cet accroissement de la productivité, les salariés n’en bénéficient pas. Leurs revenus resteront toujours davantage en retrait par rapport à l’évolution économique. La productivité est aussi augmentée partiellement par des rationalisations, autrement dit parce que les gens perdent leur emploi. En même temps, les prix augmentent parce que les intérêts et la spéculation les poussent à la hausse. Rien que dans l’essence et le gazole est contenu un bon tiers de gains spéculatifs. La majorité des Américains doit de ce fait compléter ses revenus grâce à du crédit alors que l’industrie financière prospère insolemment : les gains de productivité vont dans sa poche, les intérêts de toute manière aussi. C’est cela l’absurdité de la discussion autour des paiements des bonus des banquiers. Le pouvoir politique veut les limiter, et il fait valoir cela comme une régulation décisive du secteur bancaire. Or c’est un pur effet de surface. Ces bonus sont des commissions : un faible pourcentage des profits réellement générés par l’industrie financière. Quand des millions vont dans les poches des traders, c’est seulement parce qu’ils ont récolté des milliards pour l’établissement qui les emploie. Pourquoi les banques gagnent-elles de telles sommes ? Tout simplement parce que cet argent a cessé d’être redistribué aux salariés.

Fuchs: Vous faites partie de ces experts économiques structuralistes qui critiquent l’assimilation du crédit à la monnaie comme quelque chose d’idéologique au plus haut point et qui est responsable de l’invisibilité du processus de concentration de la richesse dont nous venons de parler. En quoi consiste l’erreur quand on dit que la monnaie en espèces et la monnaie scripturale seraient la même chose ?

Jorion: On parle de masses ou d’agrégats monétaires et de la création monétaire par les banques commerciales. Dans un calcul usuel, on additionne la quantité de monnaie liquide et ce dont les gens disposent sur leurs comptes et livrets d’épargne. On constate alors que le total croît continuellement, que la richesse croît constamment. On oublie alors que la monnaie liquide et la monnaie scripturale sont deux choses fondamentalement différentes. Supposons par exemple trois personnes qui ont, chacune, 10 euros en poche. Elles se prêtent cet argent l’une à l’autre. Si on calcule maintenant selon la manière conventionnelle, la somme a doublé. En effet, chacun des trois – en tant que prêteur – possède une créance de 10 euros en poche, et – en tant qu’emprunteur – possède 10 euros en espèces. Ce n’est pas une erreur de calcul, c’est la méthode prônée par le « science » économique. On parle de masses monétaires M1, M2, etc. L’économiste théoricien Schumpeter a très bien justifié pourquoi il conviendrait d’additionner la richesse réelle et la richesse « négative » que sont les dettes. C’est seulement en cas de crise que l’on reprend douloureusement conscience de la différence. La valeur d’un billet de 10 euros est 10 euros. Son pouvoir d’achat peut varier quand les prix montent, mais sa valeur reste fondamentalement la même. Quant à une reconnaissance de dette, son cas est tout à fait différent. Il faut l’évaluer en fonction du risque, selon la probabilité que le remboursement ait lieu réellement. Lors des crédits hypothécaires qui avaient déclenché la crise aux USA, leur valeur tombait à zéro. Et les masses monétaires M1, M2 fondaient soudainement comme neige au soleil. Où est passé l’argent, se demandait-on naïvement ? La monnaie liquide est toujours là, mais tous les crédits et reconnaissances de dettes ont disparu. Les économistes n’ont certes pas inventé ces calculs douteux uniquement pour faire plaisir au secteur bancaire. Objectivement, ceux-ci sont cependant très commodes pour l’industrie financière. Mais les économistes se sont trompés, on ne peut pas simplement additionner ces deux types de quantités. L’un des chiffres est réel, l’autre est virtuel.

Fuchs: La ligne de défense du secteur bancaire est que l’argent public employé pour leur sauvetage ne serait que des garanties et que cet argent ne serait en réalité pas réellement perdu et qu’il pourrait, dans certaines circonstances, être aussi bien restitué, que faut-il en penser ?

Jorion: Prenons par exemple une “mortgage-backed security”, un titre garanti par des hypothèques. Y sont contenus les crédits hypothécaires de 3000 propriétaires de maisons. Chaque fois qu’ils paient une mensualité, de l’argent parvient aux titulaires du titre (investisseurs). Si le titre papier est émis en 2007 et si certains débiteurs ont cessé de payer leurs mensualités, ce titre ne vaut peut-être plus que 83 cents par dollar (investi). Les banquiers disent alors que si les autres débiteurs continuent à payer, il n’y a pas de raison de décoter encore davantage ce titre, il suffit de le conserver sans s’inquiéter jusqu’à sa maturité. Mais ceci est ridicule, car rien ne vient soutenir la supposition que la situation s’améliorera nécessairement l’année prochaine ou dans deux ans. Sous-tend cet type d’argumentation la méthode de valorisation “mark to model” qui renvoie à la représentation d’une situation idéale où toutes les difficultés du présent auront été éliminées. Le taux de chômage par exemple ne varie pas brusquement d’une semaine à l’autre. Il est soumis à des cycles long. Aux USA, on a ainsi fêté dans l’euphorie le fait qu’en mars avaient été créés 162.000 nouveaux emplois. En y regardant de plus près, on constate qu’un tiers des emplois étaient des embauches provisoires pour le recensement décennal de la population, et un autre tiers avait été postulé à partir des fluctuations historiques de création et de disparitions d’entreprises aux USA. Ce qui veut dire que 50.000 seulement de ces emplois sont réellement nouveaux. On sait cependant que l’Amérique aurait besoin, pour confirmer son rétablissement économique, de 250.000 emplois neufs par mois pour les cinq années à venir. On peut bien sûr être un optimiste incorrigible qui image que demain au réveil tout se retrouvera miraculeusement comme avant la crise.

Fuchs: Est-ce à dire que les tristement célèbres “bad banks” sont des tombes où l’on a enterré de l’argent ?

Jorion: La probabilité d’une réanimation est en effet aussi élevée que dans un cimetière. En mars 2008, le ministre des finances américain Henry Paulson avait orchestré le rachat de Bear Stearns par JP Morgan. Il déclara par la suite à plusieurs reprises publiquement que ce sauvetage était unique et qu’il ne serait pas possible de le répéter. Il le redisait encore quand survint, 6 mois plus tard, la faillite de Lehman Brothers. On avait enfoui les déchets financiers toxiques de Bear Stearns et vissé par dessus un couvercle comme s’il s’agissait d’un deuxième Tchernobyl. Personne ne devait y toucher, personne ne devait savoir ce qui s’y cachait. Seule l’insistance des médias, de Bloomberg et de Fox News, a fait que le contenu a dû être dévoilé. On a dévissé le couvercle pour jeter un coup d’œil dans le sarcophage, et on a pu constater que ce qui s’y trouvait n’avait absolument aucune valeur.

Fuchs: Si je vous ai bien compris, vous attribuez à une sorte de perversion de la nature de l’argent, à un fétichisme de l’argent, le véritable arrière-plan historique et culturel de ce à quoi nous assistons maintenant sous sa forme extrême. On a fait, à partir d’un instrument destiné à l’échange, à savoir l’argent en tant qu’instrument de la circulation, un instrument d’accumulation de la valeur. En quoi est-ce un mésusage de l’argent, car, enfin, la formule de l’intérêt est pour nous, depuis la renaissance, liée à l’usage de l’argent ?

Jorion: On peut dire que l’argent est un instrument neutre qui n’a comme tel un effet ni positif ni négatif. Il constitue un simple substitut du troc : une marchandise spécialement conçue pour l’échange. Une image tout à fait différente émerge cependant au plan historique. A l’origine, les sociétés féodales étaient dominées par la caste des guerriers qui s’appropriait les terres par la force. Ils sont ce que Hegel nomme les “Maîtres”. En face d’eux se tient la majorité de la population, les « esclaves » devenus “serfs” par la suite. Les uns travaillent, les autres règnent sur eux. Pour pouvoir faire circuler les produits issus de cette division du travail, il fallait les marchands. Ils vont de pays en pays, vendent leurs marchandises et vivent de leur profit. Pour ce commerce, on a besoin de l’argent comme instrument de la circulation. Au moyen âge et surtout pendant la renaissance, les régnants font une découverte surprenante. Ils n’ont plus besoin de la violence comme base de leur règne. L’argent rend le même service. Avec lui, on peut amener quelqu’un à travailler pour soi, sans autre violence. La révolution française et sa nouvelle redistribution du pouvoir n’a rien changé à cela. Les aristocrates ont vite compris qu’il pouvaient renoncer à leurs privilèges seigneuriaux s’ils possédaient suffisamment d’argent. L’épée ou le sabre ne sont plus nécessaires, on peut arranger tout cela de la même manière avec de l’argent. Aristote avait reconnu cet aspect de l’argent comme l’héritier de la violence sociale. L’argent reflète le rapport de domination et remplace l’instrument de la violence.

Fuchs: Que devrait-on donc faire pour neutraliser cet effet antidémocratique renforçant les dominations dans nos sociétés, pour l’affaiblir voir l’annuler ?

Jorion: Ce qui avait été fait en 1929, a été refait en 2007 : attendre jusqu’à ce que la concentration de la richesse sociale devienne telle que tout le système s’effondre. C’est alors seulement que l’on repense soudain à la redistribution. Dans les années trente, ce sont des instruments redistributifs que Keynes avaient proposés en Angleterre et qui furent appliqués également aux États-Unis. Pour Keynes, le plein-emploi était l’objectif primordial. Il faut se souvenir que l’on assistait alors en Angleterre à une montée en puissance parallèle du fascisme et du communisme. L’enjeu devenait crucial. La démocratie était menacée sur deux flancs par des idéologies totalitaires. Pour Keynes, il fallait combattre le mécanisme de concentration de la richesse. Il fallait que l’argent soit redistribué de manière plus équitable. Pour que les gens consomment à nouveau et puissent aussi acheter les marchandises produites par eux, il fallait avant tout leur donner du travail et rémunérer celui-ci d’une manière adéquate.

L’instrument de la redistribution par l’imposition qui accompagne l’État keynésien, est, hélas, aujourd’hui émoussé. On a permis en particulier aux entreprises de l’économie réelle de se transformer en entreprises quasi virtuelles. Elles distribuent leur chaîne de création de richesse sur un grand nombre de pays, et bénéficient de la concurrence mondiale existant entre eux pour les derniers emplois restants. On permet à la richesse socialement produite de se réfugier dans un espace virtuel et quasi transnational. Il ne faut pas négliger non plus l’influence de l’argent sur la politique. Il est plus aisé de se faire élire à un poste politique quand on appartient à un parti soutenu par l’industrie financière. Cela a conduit aux États-Unis à un système qui se rapproche de l’ancien système électoral censitaire. La cour suprême des États-Unis a récemment suspendu pour les entreprises toute limitation des dons politiques. Et ce en invoquant le principe de la libre expression ! Naturellement, les entreprises ont des ressources financières d’un tout autre ordre que l’individu moyen. Avec de l’argent, on s’achète de l’influence sociale. Un coup d’état n’est donc pas nécessaire, pas besoin d’envoi de troupes. Une fois encore : l’argent procure le même type de service.

Fuchs: Il y a une autre proposition de Keynes que vous préconisez, c’est la monnaie synthétique mondiale qu’il appela le “bancor” et qu’il a proposée à Bretton Woods, mais qui ne fut pas retenue. Dans quelle mesure cela pourrait-il nous venir en aide dans le contexte actuel ?

Jorion: Il faudrait vérifier si le bancor pourrait vraiment constituer une solution. Dans son principe, il ressemble beaucoup aux droits de tirage spéciaux que le Fonds Monétaire International a institués. La crise grecque et de l’euro a très nettement souligné qu’une monnaie devrait correspondre à un espace économique poursuivant une politique économique intégrée. Les États-Unis ont ancré dans leur constitution la solidarité économique entre les états de la fédération. La Californie et ses excédents d’exportation doit pouvoir répondre de la Géorgie beaucoup moins riche. Cela ne pourrait pas fonctionner autrement. On ne peut revendiquer tous les avantages d’un espace monétaire unique et sans risque de change pour son industrie domestique d’exportation et en même temps refuser toute responsabilité pour le déséquilibre économique au sein de cette zone économique. Je parle évidemment du champion du monde de l’exportation, l’Allemagne, et, au niveau de l’économie mondiale, de son concurrent, la Chine. On ne peut pas en tant qu’économie nationale, qui s’est quasi spécialisée dans l’exportation, reprocher aux autres qu’ils n’exportent pas autant. Vers où doivent-ils exporter ? Tant que la planète Mars ne s’ouvre pas comme un nouveau marché vierge, il n’y a pas d’issue. Le commentateur en chef du Financial Times, Martin Wolf, a très bien décrit cela. Les Allemands ont renié la parole du philosophe Immanuel Kant : un principe moral doit toujours valoir pour tous, il doit être universel. Mais tous ne peuvent devenir champions du monde de l’exportation.

Keynes a reconnu ce problème. Il était à la recherche d’un système qui serait en mesure de compenser des déséquilibres dans les bilans commerciaux. Le noyau de son plan bancor était de créer une monnaie de compte qui sanctionne les excédents aussi bien que les déficits commerciaux. Car les deux sont nuisibles dans le cadre d’une économie mondiale durable. Malheureusement, sa conception n’a pas pu s’imposer à Bretton Woods. Son concept général, il faut le mentionner, n’était pas neuf. Un système d’accords bilatéraux équilibrés entre l’Allemagne et d’autres pays avait été mis au point par Hjalmar Schacht qui avait été président de la Reichsbank et ministre de l’économie d’Hitler. Schacht a été jugé après la guerre à Nuremberg pour complicité dans la mise sur pied de la machine de guerre allemande. Il a été acquitté. Quoi qu’il en soit, Keynes n’a jamais fait mention de la parenté intellectuelle entre son propre projet et des applications d’inspiration commune dans l’Allemagne vaincue. Cela aurait jeté la suspicion sur leur bien-fondé dans la période d’après guerre et aurait pu compromettre toute chance de leur mise en application.

Fuchs: Le mainstream économique a déjà évacué la crise : « Des signes positifs se pointent à l’horizon », « Le pire est derrière nous ». Vous êtes beaucoup plus pessimiste, vous croyez au “double plongeon”, ce profil en forme de W où la deuxième jambe sera beaucoup plus dramatique que la première. Cette seconde partie, sur quelle champ se joue-t-elle ? Sera-ce une crise de l’endettement public ? Sera-ce une crise de la demande déclenchée par l’épargne ? Donc une crise déflationniste, se produira-t-elle?

Jorion: Je pose d’abord une première question : où se trouve donc ce mainstream dont vous parlez ? Il s’agit de quelques journaux, de quelques stations de télévision, certainement pas la majorité des opinions exprimées ! Il y a eu en avril un sondage en France. On demandait aux gens s’ils croyaient que la crise état terminée. 75 % ont répondu non.

Ce qui se profile devant nous, c’est la maladie japonaise : une période de stagnation se traînant en longueur, accompagnée d’une déflation. Pour Keynes, la déflation était le plus grand des dangers. Plus personne ne dépense, car tout pourra être obtenu demain encore meilleur marché. L’économie se fige, le chômage monte en flèche, et on assiste à la paupérisation de large couches de la population.

La récession va reprendre en vigueur, les états nationaux ont épuisé leurs munitions. Ils sont incapables de recharger leurs armes. Le sauvetage du secteur bancaire a épuisé les dernières réserves. Pour lui, les États ont dépensé plus qu’ils n’avaient. Dans leur grande majorité, ils sont tout aussi insolvables que la Grèce. La tentation est grande de réduire la charge de la dette par l’inflation. Mais l’inflation, c’est incendier la plaine, c’est un processus qu’il est impossible de maîtriser.

On me pose souvent la question si nous sommes en train de vivre la crise finale du capitalisme. C’est en effet à une sorte d’agonie que nous assistons. Il ne mourra peut-être pas pour les raisons que Marx avait prédites. Mais cela n’y change rien. Le système peut être mortellement blessé, alors même que Marx se serait trompé.

Il faut agir sans tarder, il faut empêcher l’industrie financière de causer davantage de dégâts. Depuis trois ans, je plaide pour l’interdiction des paris sur les fluctuations de prix. Mais rien ne bouge. Des sommes énormes sont soustraites à l’économie par des tours de passe-passe spéculatifs. Tout ça est très très dangereux.

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http://trends.rnews.be/fr/economie/actualite/banque-et-finance/marc-fiorentino-le-public-doit-savoir-que-les-marches-sont-manipules/article-1194734790073.htm

17 mai 2010

Marc Fiorentino : «Le public doit savoir que les marchés sont manipulés !»

Fortis ? «On a fait paniquer les gens pour qu'elle puisse être ‘ramassée à la casse’.» La Grèce ? «C'est un test avant la ‘mère des batailles’ sur la dette américaine.» Qu'est-ce qui arrêtera les spéculateurs ? Morceaux choisis de Marc Fiorentino, l'un des gourous les plus courus de la place financière parisienne, qui prédit l'implosion prochaine de l'économie chinoise.

Marc Fiorentino

Marc Fiorentino © Antoine Moreno

Marc Fiorentino est un financier qui s'assume mais qui n'assume pas pour autant tout ce que la finance fait. Sa deuxième vie, à côté de la finance, est l'écriture. Ce Français de souche tunisienne est en effet aussi, «à titre accessoire », l'auteur comblé de véritables bestsellers - le dernier en date étant Pour tout l'or du monde (1). Fortune faite mais pas « rangé des voitures » pour autant, il dit avoir écrit son dernier roman avec la volonté de raconter et de vulgariser ce qui peut se passer réellement dans les coulisses du secteur financier, un monde qu'il connaît au demeurant fort bien pour y travailler lui-même depuis maintenant 26 ans. Morceaux choisis d'une rencontre dans son bureau parisien, au siège de ses sociétés (Euroland, Allofinance...), basé... rue Balzac.

Que pensez-vous de la situation en Grèce ?

Marc Fiorentino : C'est la genèse de mouvements beaucoup plus forts. C'est un « test » avant de mener un jour « la mère de toutes les batailles », celle sur la dette américaine. Le grand public doit donc comprendre que les marchés sont en fait manipulés. Pour l'instant, les fonds spéculatifs fourbissent leurs armes sur des cibles plus petites. Et tout comme Hitler a envahi la Pologne et la Tchécoslovaquie avant de s'en prendre finalement à la France, les fonds spéculatifs s'en prennent pour l'instant à la Grèce avant de s'en prendre par la suite aux Etats-Unis !

Mais de là à imaginer que les Américains accepteront de se (sou)mettre au régime sec du FMI...

Les Américains n'auront pas envie de se défendre et, à la limite, ils en appelleraient presque de leur voeux une attaque sur la dette américaine !

Pourquoi ?

Dans le langage populaire, on dit aux Etats-Unis que « ce qui est bon pour General Motors est aussi bon pour l'Amérique ». Et GM est en... chapter 11 [NDLR : en concordat] ! Bref, les Américains finiront un jour par dire : « On vous doit 100 mais on ne vous remboursera que 60. Ainsi, on restera debout et on sera toujours vos clients ! » La mentalité des Américains est ainsi faite qu'ils n'ont pas la même idée que nous, Européens, de la cessation de paiements. Là-bas, ne dit-on d'ailleurs pas qu'il faut avoir fait faillite deux fois avant de réussir ?

Pensez-vous que les Chinois vont laisser faire ?

Le monde aura en tout cas à se préparer à un nouveau Bretton Woods. Dans les faits, on permettra certainement aux Etats très endettés d'annuler une partie de leurs dettes, tout comme ce fut d'ailleurs le cas avec l'Amérique du Sud dans les années 1980. Quant à la Chine, elle a évidemment tout intérêt à laisser l'économie américaine debout. Ne serait-ce déjà que pour pouvoir continuer à y écouler ses produits...

Peut-on dès lors imaginer dans la foulée une flambée du cours de l'or ?

Avant d'arriver à une solution de réalignement international, il y aura au bas mot une année de pourparlers mais, en cas de crise, l'once d'or pourrait, qui sait ? monter jusqu'à 2 000 à 3 000 dollars...

Quand verriez-vous ce scénario se dérouler ?

D'ici à deux ans au maximum. Le plus paradoxal est que les problèmes viendront selon moi de... la reprise économique !

Pourquoi ?

La reprise économique provoquera immanquablement une hausse des taux d'intérêt, donc une hausse du coût de la dette. Cette situation sera particulièrement difficile à supporter pour les Etats déjà surendettés, avant que l'inflation ne vienne tout de même réduire le poids réel de cette dette. Cela étant, ce que d'aucuns oublient un peu vite, c'est que si l'inflation augmente, les taux d'intérêt augmenteront à leur tour aussi, et donc le poids de la charge de la dette. Et quand on sait que, pour beaucoup de pays, c'est déjà le principal poste budgétaire...

Nous vivons dans un monde globalisé. La crise des subprimes nous l'a suffisamment démontré. Quid alors, selon vous, des répercussions chez nous ?

Chez nous, la situation est différente : historiquement, les Etats se sont endettés pour rendre des services aux ménages, services qu'ils ne payaient pas. Les ménages ont donc ainsi eu de quoi épargner. En France, l'épargne des ménages est égale au volume de la dette de l'Etat. On vit donc dans une sorte d'autarcie financière. Si, demain, le monde financier devait exploser, l'Etat français pourrait se financer auprès des ménages. En fait, notre chance, c'est de vivre sur un continent d'épargnants, moins dépendant qu'on ne l'imagine des marchés étrangers.

En Grèce, le remède de cheval imposé par le FMI et l'Union européenne a mis les gens dans la rue. Imaginerait-on « demain » pareil scénario chez nous ?

Le jour où les gens ont peur, on peut leur demander n'importe quoi ! En 2008, en contrepartie de la garantie sur leurs dépôts bancaires, les gouvernements auraient par exemple pu demander aux gens de travailler 3 ans de plus ! Ils ont loupé là l'opportunité de demander des sacrifices à la population sans révolte sociale en corollaire !

Est-ce cependant normal et acceptable de voir la spéculation in fine acculer les populations à de si lourds sacrifices ?

Notre système social est en fait utopique. Les Etats européens ne peuvent plus assurer le vieillissement de la population et assumer leur responsabilité en termes de sécurité sociale. En l'état actuel des choses, le financement structurel des retraites est impossible. Ne vous trompez pas, je ne dis pas que c'est bien, je vous fais juste part de la réalité face à laquelle on va se retrouver. Vous savez, en Europe, les gens continuent à croire que l'Etat est une sorte de deus ex machina, bref, une sorte de création divine où l'argent viendrait du ciel. Or l'argent vient de la poche des gens et tout est fait a priori pour fonctionner en circuit fermé. Si on sort du modèle, on se retrouve alors dans une situation à la grecque avec, à la clé, un dur rappel à la réalité. En deux mots, le modèle européen - du fait du vieillissement de sa population - ne fonctionne plus et les politiciens n'ont pas le courage affiché de le remettre en cause. Ils n'ont évidemment pas envie d'avoir une grève générale alors qu'il y a toujours une phase d'élection en ligne de mire. Ils attendront donc patiemment que le système explose, comme en Grèce. Et ils finiront par dire aux gens : « C'est comme ça ou bien on ne nous prête plus d'argent ! »

Et la Chine dans tout cela ?

La Chine ne sera pas « attaquée », elle va carrément imploser !

Qu'est-ce qui vous amène à cette affirmation ?

Cela fait plus de vingt ans que je m'intéresse aux « bulles ». J'ai une check-list de 20 critères qui font qu'on est ou non dans un phénomène de « bulle ». Pour la Chine, j'ai déjà coché au bas mot 15 des 20 cases de ma liste ! Ce pays entretient le mensonge permanent. Ainsi, contrairement aux Etats-Unis et à l'Europe, la Chine n'accepte pas la chute de son PIB. Du coup, elle maintient artificiellement sa croissance économique au-dessus des 8 % fatidiques. Et pour cela, elle a pourri - c'est le terme - le bilan de ses banques. Obligées de prêter à des régions, à des collectivités pour des projets qui ne seront jamais rentables, les banques chinoises croulent aujourd'hui sous les mauvaises créances. Cela étant, prestige oblige, si la Chine fera tout pour tenir jusqu'au terme de l'Exposition universelle de Shanghai, je n'ai cependant pas le moindre doute sur l'implosion prochaine de l'économie chinoise !

Concrètement ?

Ce sera pour elle un retour cinq ans en arrière, comme ce fut le cas au Japon dans les années 1980. Et il lui faudra cinq à sept ans pour revenir dans la course. Géopolitiquement, il y a du positif là derrière. En effet, depuis des années, en donnant l'impression qu'elle a vraiment d'immenses réserves de change (en occultant une dette tout aussi abyssale), la Chine a politiquement renforcé des Etats « peu fréquentables », tels l'Iran, le Soudan et nombre de dictatures africaines. Là aussi, des cartes vont être redistribuées.


La crise financière de 2008 nous a démontré que la finance est mondialisée. Faut-il ici rappeler à quel point nous avons souffert en Europe - et singulièrement en Belgique - des conséquences des défaillances sur les prêts hypothécaires américains ?

Tout cela a été une énorme arnaque ! On s'est servi d'une crise extérieure - qui nous a certes touchés mais pas autant qu'on l'a dit - pour provoquer une panique qui a permis à certains de redistribuer les cartes, décrochant le gros lot au passage. En Belgique, on a fait volontairement paniquer les gens sur Fortis, histoire que Fortis puisse être « ramassée à la casse » et que les actionnaires soient « nettoyés ». Je ne suis pas là dans la théorie du complot. Je m'inscris juste dans la logique de l'industrie où on profite des circonstances pour acheter son concurrent à bon prix. Fortis était une très bonne affaire pour BNP Paribas !

Dans la foulée de la crise financière, les Etats s'étaient engagés à mieux réglementer le secteur financier. Où en est-on aujourd'hui entre « l'effet d'annonce » et « l'annonce des faits » ?


Nulle part ! Et le drame est dans l'hypocrisie des politiciens. Aux Etats-Unis, le président Obama avait clamé en arrivant au pouvoir : « Les bonus obscènes, c'est fini ! » Un an après, Citi, bien que détenue par l'Etat américain, a quand même versé de plantureux bonus ! En Grande-Bretagne, par contre, la taxe sur les bonus rapporte énormément d'argent. Le gouvernement anglais escomptait 500 millions de livres. Elle lui a finalement rapporté 2,8 milliards de livres ! En France, les discours de Sarkozy - qui se prend pour Besancenot - me fatiguent. Il nous a sorti 1 000 mesures pour relancer l'économie et seules 80 sont appliquées. Vous savez, les gens ne sont pas dupes. Voyez l'écart de popularité qui existe aujourd'hui entre un président qui ment et un Premier ministre qui parle vrai. La popularité va aujourd'hui à celui qui dit la vérité.

Un mot de conclusion à l'adresse des politiciens ?

Est-ce qu'il y a des gens qui gagnent à tous les coups ? Oui : les grands patrons des hedge funds, ces machines à faire de l'argent et qui ne font leur métier que sur le dos de la bêtise des gens. Ainsi, si on laisse fonctionner un marché des CDS (Credit Default Swaps) grecs sans réglementation, il ne faut pas se plaindre de voir ensuite les fonds gagner de l'argent en attaquant l'euro. Le métier des spéculateurs, c'est de gagner de l'argent, point. Et permettez-moi de rappeler au passage que dans les années 1980, la Fed [NDLR : la banque centrale américaine] et la Bundesbank [NDLR : son alter ego allemand] engageaient des traders et les payaient très cher. Leur objectif était alors de se battre avec les mêmes armes que ceux qui étaient en face d'elles. L'expérience fut concluante. Pourquoi n'envisagerait-on rien de comparable aujourd'hui ?

(1) Ed. Robert Laffont, 2010, 414 p.

Propos recueillis par Jean-Marc Damry (LeVif/L'Express), à Paris

Friday, 25 September 2009

faber: la prochaine crise sera la fin du capitalisme


L’homme d’affaire Marc Faber, réputé pour ses prises de positions iconoclastes, ne croit pas à la solidité de la reprise, car le problème de la bulle d’endettement n’est pas réglé, dit-il, bien au contraire. L’apparente prospérité économique de ces dernières années était bâtie sur un empilement de dettes toujours plus haut et de plus en plus instable, augmentant sans rapport avec la croissance de l’activité économique. Pourtant, cette évidence a continué d’être superbement ignorée par les banquiers centraux - et la grande majorité des économistes - dont la seule préoccupation en matière de politique monétaire restait l’inflation « classique », attribuée aux augmentations de salaires en période de surchauffe. Le modèle économique en vigueur, tout en affirmant que l’excès de monnaie produit de l’inflation, se désintéresse des effets de la création monétaire résultant du crédit. Pourtant, ces dernières années, c’est l’afflux d’argent dans les circuits financiers qui a tiré l’économie américaine. Avec pour résultat une autre forme d’inflation, celle-là non seulement parfaitement tolérée, mais saluée comme une preuve de la bonne santé du système : celle des actifs. Ce sont les revenus tirés de la spéculation boursière et de la hausse de l’immobilier, associés à un endettement croissant, qui ont soutenu la consommation, pas l’activité de l’économie réelle, de plus en plus délocalisée. « Les profits des entreprises ne peuvent croitre indéfiniment plus rapidement que le PIB, pas plus qu’on ne peut avoir indéfiniment une croissance du crédit plus rapide que celle du PIB nominal. » rappelle Marc Faber. Et selon lui, le déclenchement de la prochaine crise n’est qu’une question de temps.

Marc Faber répond aux questions de Bloomberg TV, 22 septembre 2009
(...)
Si vous étiez le gouverneur de la Fed, vous préoccuperiez-vous uniquement de l’inflation pour déterminer votre politique monétaire et vous désintéresseriez - vous complètement de la croissance du crédit, sans jamais la mentionner dans vos discours et publications, même si cette croissance du crédit et de l’effet de levier est supérieure à la croissance économique ?
...
La raison pour laquelle ils ne s’en sont pas préoccupés c’est qu’à l’exception de quelques rares économistes, comme John Taylor, [ ce n’est jamais mentionné ]
Si vous lisez l’article récemment publié par Krugman - 6000 mots - où il accuse les autres économistes : « comment ont-ils pu se tromper autant ? » (il aurait du titrer « comment ai-je pu me tromper autant »...) en fait, dans tout l’article il ne mentionne jamais la croissance excessive du crédit, ou l’augmentation excessive de l’effet de levier. Pas une seule fois.
Les économistes américains, à la Fed, au Trésor, y compris M. Greenspan, et dans l’université, négligent complètement cette croissance excessive du crédit, à l’exception de gens comme Robert Schiller, John Taylor...
Question : que faudrait-il faire aujourd’hui ? (...)
Je veux faire les observations suivantes : (...) si vous avez un problème du à une croissance excessive du crédit, d’un niveau excessif de l’endettement dans le système, vous ne pouvez pas résoudre ce problème en empilant encore plus de dettes, c’est-à-dire en monétisant la dette ou en créant de nouveaux déficits budgétaires. Vous retardez le problème. Le problème que j’ai avec cette reprise [économique] ... si on monétise, le cours des actions peut encore monter jusqu’à des sommets, comme au Zimbabwe ou dans la République de Weimar, mais on ne fait que retarder le problème, jusqu’à ce que la crise ultime survienne. Et cela arrivera un jour.
Question : (...) que sera la prochaine crise, et quand devrons nous nous préoccuper des niveaux extrêmes [d’endettement des USA] (...) ?
C’est la difficulté. Nous avons une dette supérieure à 375% du PIB.... nous pouvons aller à 400%, 500%... si on monétise.
Les profits des entreprises ne peuvent croitre indéfiniment plus rapidement que le PIB, pas plus qu’on ne peut avoir indéfiniment une croissance du crédit plus rapide que celle du PIB nominal.
L’heure de vérité arrivera un jour. Je ne sais pas si c’est demain ou dans 3, 5 ou 10 ans, mais la prochaine crise abattra le système capitaliste dans son ensemble.
Question : vous en êtes sûr ?
Oui, [elle abattra] Bloomberg, moi-même et tout le monde....
(...)
On ne peut pas réduire le déficit budgétaire car cela provoquerait une contraction de l’activité économique.
Avec la réduction du déficit de la balance des paiements, la monétisation devra se poursuivre aux USA, car il y aura moins d’achats des bons du trésor par l’étranger.
Les achats par l’étranger ont ralenti, sinon le dollar monterait et ne baisserait pas. La faiblesse du dollar est un symptôme de l’inflation [existant] dans le système. (...)
Lorsqu’il y a de l’inflation, définie en terme de croissance de l’offre de monnaie et de croissance du crédit, les monnaies s’affaiblissent.
Les autres pays font la même chose. Les USA ne sont pas les seuls [dans cette situation]. Les banquiers centraux sont tous dans le même bateau. Ils n’ont qu’une seule recette qui est d’imprimer de l’argent.
(...)

Publication originale Bloomberg via Information Clearinghouse, transcription Contre Info

Friday, 24 April 2009

alba: capitalism destroys mankind and the planet

Document of the Bolivarian Alternative for the Peoples of Our Americas (ALBA) countries for the 5th Summit of the Americas

Cumaná, April 17, 2009

The heads of state and governments of Bolivia, Cuba, Dominica, Honduras, Nicaragua and Venezuela, member countries of ALBA, consider that the proposed Declaration of the 5th Summit of the Americas is insufficient and unacceptable for the following reasons:

It offers no answers to the issue of the Global Economic Crisis, despite the fact that this constitutes the largest challenge faced by humanity in decades and the most serious threat in the current epoch to the wellbeing of our peoples. It unjustifiably excludes Cuba in a criminal manner, without reference to the general consensus that exists in the region in favour of condemning the blockade and the isolation attempts, which its people and government have incessantly objected to. For these reasons, the member countries of ALBA consider that consensus does not exist in favour of adopting this proposed declaration and in light of the above; we propose to have a thoroughgoing debate over the following issues:

1) Capitalism is destroying humanity and the planet. What we are living through is a global economic crisis of a systemic and structural character and not just one more cyclical crisis. Those who think that this crisis will be resolved with an injection of fiscal money and with some regulatory measures are very mistaken.

The financial system is in crisis because it is quoting the value of financial paper at six times the real value of goods and services being produced in the world. This is not a "failure of the regulation of the system" but rather a fundamental part of the capitalist system that speculates with all goods and values in the pursuit of obtaining the maximum amount of profit possible. Until now, the economic crisis has created 100 million more starving people and more than 50 million new unemployed people, and these figures are tending to increasing.

2) Capitalism has provoked an ecological crisis by subordinating the necessary conditions for life on this planet to the domination of the market and profit. Each year, the world consumes a third more than what the planet is capable of regenerating. At this rate of wastage by the capitalist system, we are going to need two planets by the year 2030.

3) The global economic, climate change, food and energy crises are products of the decadence of capitalism that threatens to put an end to the existence of life and the planet. To avoid this outcome it is necessary to develop an alternative model to that of the capitalist system. A system based on:

Solidarity and complementarity and not competition; A system in harmony with our Mother Earth rather than the looting of our natural resources; A system based on cultural diversity and not the crushing of cultures and impositions of cultural values and lifestyles alien to the realities of our countries: A system of peace based on social justice and not on imperialist wars and policies; In synthesis, a system that restores the human condition of our societies and peoples rather than reducing them to simple consumers or commodities. 4) As a concrete expression of the new reality on the continent, Latin American and Caribbean countries have begun to construct their own institutions, whose roots lie in the common history that goes back to our independence revolution, and which constitutes a concrete instrument for deepening the processes of social, economic and cultural transformation that will consolidate our sovereignty. The ALBA-TCP [TCP - Peoples Trade
Agreement], Petrocaribe and UNASUR [Union of South American Nations], to only cite the most recently created one, are mechanisms for solidarity-based union forged in the heat of these transformations, with the manifest intention of strengthening the efforts of our peoples to reach their own liberation.

In order to confront the grave effects of the global economic crisis, the ALBA-TCP countries have taken innovative and transformational measures that seek real alternatives to the deficient international economic order, rather than strengthening these failed institutions. That is why we have set in motion a Single System of Regional Compensation, the SUCRE, that includes a Common Accounting Unit, a Payments Clearing House and a Single System of Reserves.

At the same time, we have promoted the establishment of grand national companies in order to satisfy the fundamental necessities of our peoples, implementing mechanisms of just and complementary trade, that leave to one side the absurd logic of unrestrained competition.

5) We question the G20's decision to triple the amount of resources going to the International Monetary Fund, when what is really necessary is the establishment of a new world economic order that includes the total transformation of the IMF, the World Bank and the WTO [World Trade Organisation], who with their neoliberal condition have contributed to this global economic crisis.

6) The solutions to the global economic crisis and the definition of a new international financial architecture should be adopted with the participation of the 192 countries that between June 1 and 3 will meet at a United Nations conference about the international financial crisis, in order to propose the creation of a new international economic order.

7) In regards to the climate change crisis, the developed countries have an ecological debt to the world, because they are responsible for 70% of historic emissions of carbon accumulated in the atmosphere since 1750.

The developed countries, in debt to humanity and the planet, should contribute significant resources towards a fund so that the countries on the path towards development can undertake a model of growth that does not repeat the grave impacts of capitalist industrialisation.

8) The solutions to the energy, food and climate change crises have to be integral and interdependent. We cannot resolve a problem creating others in the areas fundamental to life. For example, generalising the use of agrofuels can only impact negatively on the price of food and in the utilisation of essential resources such as water, land and forests.

9) We condemn discrimination against migrants in all its forms. Migration is a human right, not a crime. Therefore, we demand an urgent reform to the migration policies of the United States government, with the objective of halting deportations and mass raids, allowing the reunification of families, and we demand the elimination of the wall that divides and separates us, rather than uniting us.

In this sense, we demand the repeal of the Cuban Adjustment Act and the elimination of the policies of Wetbacks-Drybacks, which has a discriminatory and selective character, and is the cause of loss of human lives.

Those that are truly to blame for the financial crisis are the bankers that steal money and the resources of our countries, not migrant workers. Human rights come first, particularly the human rights of the most unprotected and marginalised sectors of our society, as undocumented workers are.

For there to be integration there must be free circulation of people, and equal human rights for all regardless of migratory status. Brain drain constitutes a form of looting of qualified human resources by the rich countries.

10) Basic services such as education, health, water, energy and telecommunications have to be declared human rights and cannot be the objects of private business nor be commodified by the World Trade Organisation. These services are and should be essential, universally accessible public services.

11) We want a world where all countries, big and small, have the same rights and empires do not exist. We oppose intervention. Strengthen, as the only legitimate channel for discussion and analysis of bilateral and multilateral agendas of the continent, the base of mutual respect between states and governments, under the principal of non-interference of one state over another and the inviolability of the sovereignty and self-determination of the peoples.

We demand that the new government of the United States, whose inauguration has generated some expectations in the region and the world, put an end to the long and nefarious tradition of interventionism and aggression that has characterised the actions of the governments of this country throughout its history, especially brutal during the government of George W. Bush.

In the same way, we demand that it eliminate interventionist practices such as covert operations, parallel diplomacy, media wars aimed at destabilising states and governments, and the financing of destabilising groups. It is fundamental that we construct a world in which a diversity of economic, political, social and cultural approaches are recognised and respected.

12) Regarding the United States blockade against Cuba and the exclusion of this country from the Summit of the Americas, the countries of the Bolivarian Alternative for the Peoples of Our Americas (ALBA) reiterates the position that all the countries of Latin America and the Caribbean adopted last December 16, 2008, regarding the necessity of putting an end to the economic, trade and financial blockade imposed by the government of the United States of America against Cuba, including the application of the denominated Helms-Burton law and that among its paragraphs notes:

"CONSIDERING the resolutions approved by the United Nations General Assembly on the need to put an end to the economic, commercial, and financial embargo imposed by the United States on Cuba and the decisions on the latter approved at several international meetings,

"DECLARE that in defence of free trade and the transparent practice of international trade, it is unacceptable to apply unilateral coercive measures that will affect the well-being of nations and obstruct the processes of integration.

"WE REJECT the implementation of laws and measures that contradict International Law such as the Helms-Burton law and urge the U.S. Government to put an end to its implementation.

WE ASK the U.S. Government to comply with the 17 successive resolutions approved at the United Nations General Assembly and put an end to the economic, commercial and financial embargo it has imposed on Cuba."

Moreover, we believe that the attempt to impose isolation on Cuba, which today is an integral part of the Latin American and Caribbean region, is a member of the Rio Group and other organisations and regional mechanisms, that carries out a policy of cooperation and solidarity with the people of the region, that promotes the full integration of the Latin American and Caribbean peoples, has failed, and that, therefore, no reason exists to justify its exclusion from the Summit of the Americas.

13) The developed countries have allocated no less than $8 trillion towards rescuing the financial structure that has collapsed. They are the same ones that do not comply with spending a small sum to reach the Millennium Goals or 0.7% of GDP for Official Development Aid. Never before have we seen so nakedly the hypocrisy of the discourse of the rich countries. Cooperation has to be established without conditions and adjusted to the agendas of the receiving countries, simplifying the procedures, making resources accessible and privileging issues of social inclusion.

14) The legitimate struggle against narco-trafficking and organised crime, and any other manifestation of the denominated "new threats," should not be utilised as excuses for carrying out acts of interference or intervention against our countries.

15) We are firmly convinced that change, which all the world is hoping for, can only come about through the organisation, mobilisation and unity of our peoples.

As the Liberator well stated: "The unity of our peoples is not simply the chimera of men, but an inexorable fate"- Simón Bolívar.

Friday, 20 March 2009

"boliVarian" decALoguE for a world constitution

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source: waynemadsenreport.com

"If we want to save the planet, we have to put an end
to and eradicate the capitalist model"

Ten Commandments:

1. Put an end to the capitalist system

2. Renounce wars

3. A world without imperialism or colonialism

4. The right to water

5. Development of clean energies

6. Respect Mother Earth

7. Treat basic services as human rights

8. Fight inequalities

9. Promote diversity of cultures and economies

10. Live well, not live better at the expense of
others.

-Evo Morales, President of Bolivia

Monday, 29 January 2007

l'ordre economique naturel

«Economie de marché sans capitalisme»

Une nouvelle appréciation de la théorie de l’Ordre économique naturel du point de vue de l’éthique économique

par Hermann Kendel, Berlin

Après avoir fait l’objet de vives discussions à son époque, la théorie de l’Ordre économique naturel élaborée par Silvio Gesell (1862-1930) est passée à l’arrière-plan des débats économiques et politico-philosophiques dès le début des années trente, alors que précisément cette théorie aurait ouvert à l’individu des perspectives procurant plus de liberté et de justice dans la vie sociale. Par sa thèse présentée à l’Université de St-Gall, qui fait l’objet du présent article, Roland Wirth*, né en 1974, relance la discussion théorique sur les idées de Silvio Gesell.
L’ouvrage comporte cinq parties. Dans la première, la société libérale des citoyens est présentée comme la référence qui s’impose. L’auteur estime que les réformes de Silvio Gesell, fondées sur l’ordre économique naturel, favoriseraient beaucoup l’évolution vers une société libérale des citoyens. Dans cette perspective, l’effondrement du communisme ne permettrait pas de considérer automatiquement l’économie capitaliste comme supérieure. Il conviendrait, au contraire, de remettre sans cesse la question sur le tapis.
En système capitaliste, la propension à acquérir un patrimoine financier pour vieillir sans soucis en vivant des intérêts prévaut. A cet égard, le système socialiste serait aussi capitaliste. Toutefois, ce n’est pas l’individu, mais l’Etat qui gère alors le bénéfice généré par les intérêts.
Dans une société civile organisée d’après l’ordre économique naturel, l’abondance des marchandises donnerait à l’individu davantage de latitude pour mener sa vie à son gré, chacun devant consacrer moins de temps au travail que dans le système actuel. L’économie ne déterminerait pas la vie sociale, mais la servirait.

La remise en question de la croissance économique

Dans la deuxième partie du livre, la critique à laquelle l’économie naturelle soumet le système d’intérêts capitaliste est expliquée en détail. Tandis que les théories économiques néoclassique, keynésienne et même socialiste font l’éloge de la croissance économique sans jamais mettre celle-ci en question, voire en l’exigeant, l’ordre économique naturel moderne s’interroge à propos du sens de la croissance et attire l’attention sur les risques écologiques qui en résultent.
Alors que les grands patrimoines financiers s’accroissent de manière continuelle et exponentielle en économie capitaliste, les dettes y augmentent dans les mêmes proportions. Il incombe à la population laborieuse de générer les intérêts et les intérêts cumulés. Cette création a lieu directement lors des achats – Creutz, représentant moderne de la théorie de l’économie naturelle, estime que 40% des prix des biens de consommation, pour le moins, consistent aujourd’hui en intérêts cachés – et sous forme d’impôts. Même l’Etat et les communes doivent assurer le service de la dette en payant continuellement des intérêts et des intérêts cumulés. Ce développement exponentiel nécessite une croissance de l’économie et aboutit constamment à de nouvelles crises.
L’auteur décrit en détail cette propension à la crise et les diverses tentatives de la modérer. Ce faisant, il mentionne d’autres conséquences du système des intérêts cumulés, notamment la crise permanente du Tiers-Monde et la catastrophe écologique.

L’argent – une marchandise finalement comme les autres

Réponse à la critique du système économique en vigueur formulée dans la deuxième partie du livre, la troisième est consacrée à la réforme monétaire. Cette réforme distingue la théorie économique naturelle de toutes les autres réformes sociales et la rend unique en son genre. Si elle continue à utiliser l’argent comme moyen d’échange, la valeur de celui-ci n’augmentera plus automatiquement, par le biais des taux d’intérêt, aux dépens de la population laborieuse.
Aucune expropriation n’est nécessaire. Comme tout autre bien, la monnaie, frappée d’une taxe de liquidité, perdra très légèrement de sa valeur au fil du temps. En effet, des biens tels que les tomates se gâtent, les maisons et les rues doivent être entretenues régulièrement. Ainsi, la monnaie cesserait d’être une marchandise particulière, qui s’accroît automatiquement lorsqu’on la garde. Elle deviendrait alors un moyen d’échange analogue à tous les autres biens. La taxe de liquidité alimenterait les caisses des communes et de l’Etat, déchargeant le citoyen d’impôts démesurés. Cette mesure rendrait la circulation monétaire sûre et constante, et le niveau des prix stable durant de longues périodes.
L’auteur estime relativement faible le nombre de personnes désavantagées par ce système; il ne s’agirait que des rares bénéficiaires nets du système des taux d’intérêt. En revanche, la population laborieuse serait rémunérée en fonction de son travail complet; elle pourrait alors acheter des marchandises à des prix dont les intérêts seraient déduits et ne devrait plus payer, sous forme d’impôts, les intérêts dus par l’Etat. Tels seraient les bénéficiaires.

Réforme monétaire tout à fait réalisable

Comme ce sont les hommes – et non pas Dieu – qui déterminent les propriétés de la monnaie (l’auteur parle d’un type d’ordre social), une telle réforme monétaire serait tout à fait réalisable, surtout si la plupart des gens pouvaient ainsi faciliter leur vie personnelle aussi bien que leur vie en communauté.
Le patrimoine excessivement accru de certains s’ajusterait alors graduellement au niveau standard. De plus, la probabilité d’oppression, de guerre, d’inflation, de chômage et d’autres crises dues à la vie des hommes en communauté diminuerait.
L’auteur se penche ensuite sur les aspects techniques de la réforme monétaire. Il considère comme solubles, par exemple, les problèmes que suscitera l’imposition pratique de la taxe de liquidité, en ce qui concerne les espèces notamment. La tâche de fixer le montant de la masse monétaire incomberait toujours à l’institut d’émission. Il serait possible de conserver le nouvel argent sans perte de valeur en acquérant des biens réels, tels que des actions, des objets d’art, du vin et d’autres produits, et en déposant en banque son argent excédentaire. La fixation de la taxe à un niveau tel que le produit du patrimoine bancaire fluctue aux environs de zéro maintiendrait constante la valeur de la monnaie conservée pour une consommation ultérieure (p. 82). L’auteur estime que le nouveau système permettrait des investissements efficaces.

Elimination des revenus de capitaux en friche

Comme indiqué, les effets prévisibles de la réforme monétaire seraient l’élimination graduelle des revenus de capitaux en friche. La croissance de la production économique se chiffrerait graduellement à zéro (de même que toute autre croissance dans la nature: les hommes, les animaux, les plantes augmentent à un rythme limité, la croissance exponentielle étant limitée à certaines maladies mortelles, tel le cancer, H. K.). La croissance zéro faciliterait le retour de la nature à l’équilibre écologique et la qualité de la vie progresserait de nouveau généralement.
Ce progrès vraisemblable de la vie en commun des hommes semble presque utopique. Pourtant, l’auteur donne des exemples historiques qui traduisent la réalité de cette utopie. La monnaie de blé égyptienne que Lietaer a étudiée récemment en détail a conduit à un apogée culturel dans l’architecture surtout, mais aussi à l’aisance générale. Contrairement aux hypothèses antérieures, les maçons des pyramides étaient non pas des esclaves, mais des spécialistes royalement rémunérés.
La monnaie de blé a été découverte sous la forme de quittances données sur des débris d’argile, datées et se rapportant à des aliments et à du vin. On a prouvé que leur fonction comme monnaie locale générale avait duré 2000 ans. Ces quittances pouvaient être acquises par la livraison de quantités déterminées de céréales et de vin dans un entrepôt de l’Etat. Elles permettaient d’acheter à tout moment des marchandises de l’entrepôt. En raison des frais de stockage, la valeur des créances a diminué au fil du temps. Dans ce cas également, il s’agissait de monnaie dont la valeur se réduisait parallèlement à celle de la marchandise.

Exemple: les bractéates médiévales

Les bractéates du haut Moyen Age (900–1300 après Jésus-Christ) sont connues depuis longtemps. Outre la monnaie de métal précieux, destinée au commerce de longue distance, diverses monnaies locales avaient cours dans de nombreuses régions d’Europe, telle l’Allemagne, mais aussi l’Angleterre, la France, le Danemark, la Bohême, la Pologne et la Hongrie. Les bractéates étaient frappées d’un seul côté d’une mince feuille d’argent et déclarées de temps à autre sans valeur par les autorités. On pouvait alors échanger quatre pièces antérieures, maintenant sans valeur, contre trois pièces qui venaient d’être frappées. Le souverain pouvait ainsi faire l’économie d’une ferme onéreuse. Pour éviter la mise hors cours, toute personne qui avait acquis des bractéates se hâtait de les dépenser, ce qui a maintenu la demande intérieure à un niveau constamment élevé, comme en Egypte antérieurement. Une offre constamment élevée en a résulté. Il ne servait alors à rien d’accumuler de l’argent. Là aussi, ceux qui avaient amassé les bractéates étaient les perdants. Comme on le sait, la culture s’est épanouie et le bien-être généralisé (cathédrales gothiques, cités prospères, etc.). Après l’époque des bractéates, les paysans se sont appauvris, la richesse s’est concentrée en quelques mains, parmi le patriciat urbain notamment.

Wörgl pendant la crise économique mondiale

Le troisième exemple, que de nombreuses thèses de doctorat ont rendu célèbre, est celui de Wörgl. Pendant la crise économique mondiale du début des années trente, le maire de Wörgl, petite ville du Tyrol, a persuadé son conseil communal d’imprimer des bons de travail d’un montant de 32 000 schillings pour payer les employés et les matériaux de la ville. Ce montant en schillings a été déposé en banque comme sûreté. Les bons étaient frappés d’une taxe de liquidité de 1% par mois. Les détenteurs étaient tenus d’y coller chaque mois un timbre d’une valeur de 1%. Pour éviter ces frais, tout détenteur de bon le dépensait le plus vite possible.
L’économie de Wörgl et de ses environs s’est très vite redressée et le chômage a diminué de 25% en un an, alors qu’il continuait d’augmenter vigoureusement dans toute l’Europe. 170 autres communes d’Autriche ont prié le maire de Wörgl de leur faire une conférence. Daladier, le président du conseil français a visité la ville, puis présenté un rapport à son parlement au sujet de cette expérience étonnante. Irving Fisher a envoyé son assistant en Autriche et s’est exprimé ainsi: «En cas d’application correcte, la monnaie franche pourrait nous sortir de la crise en quelques semaines (p. 98)». Malheureusement, l’institut d’émission autrichien est intervenu après quelque 14 mois pour infraction à son monopole, de sorte que nous ne disposons ici que de résultats à relativement court terme.
Ces exemples prouvent que la monnaie a été capable de se transformer au cours de l’histoire et que rien ne s’oppose à ce que la monnaie franche soit la prochaine étape vers l’amélioration du système monétaire. Le fait que presque neuf dixièmes de la population appartiennent aux payeurs nets du système actuel plaide en faveur de la création d’un système monétaire plus équitable. Une telle démarche oblige, toutefois, à propager le savoir sur les effets qu’exerce le système capitaliste des intérêts cumulés.
Si l’auteur ne sait pas exactement comment la réforme monétaire influerait sur la manière de l’individu d’envisager son existence, il suppose que le souci relatif à la prospérité matérielle, très répandu aujourd’hui, ferait place à la question de savoir comment dépenser le mieux l’argent acquis.

La réforme agraire

La quatrième partie traite de la réforme agraire, Silvio Gesell s’y consacrant avant de passer à la réforme monétaire. Le sol doit être progressivement transféré à la propriété publique. Là aussi, il ne s’agit pas de l’expropriation chère au communisme. D’après la situation du marché, la commune devra dédommager les propriétaires de façon appropriée. Les acquéreurs recevront la terre en bail emphytéotique – et l’auteur y attache beaucoup d’importance – pour l’exploiter en privé. Silvio Gesell écrit à propos de la réforme agraire: «Comment se peut-il, se demande-t-on déconcerté, que des hommes achètent et vendent du terrain comme s’il s’agissait d’une marchandise ordinaire et non d’un bien dont l’humanité dépend, tels l’air et l’eau?» (p. 111)
Comme la monnaie franche, la terre franche doit empêcher la formation d’un revenu en friche. Les fermages remplissent les caisses de l’Etat, ce qui permet de réduire les impôts et laisse assez d’argent à la disposition de la population. La liberté des citoyens en est accrue. Il est évident que non seulement la terre, mais aussi les trésors qui y sont enfouis, tels le pétrole, le charbon et les autres minéraux, appartiennent à tous les hommes.
Les investissements destinés à l’extraction et au traitement de ces trésors seront indemnisés à leur juste valeur, d’après les règles de l’économie de marché. Cette réforme rendrait les guerres moins probables, l’équilibre écologique serait plus facile à rétablir et la terre ne dégénérerait plus en objet de spéculation.
L’auteur attire l’attention sur le fait qu’il faudra prendre des mesures contre la spéculation foncière lors de l’instauration de la monnaie franche. Il doute cependant que seules les propositions de l’économie franche conduisent au succès. Une autre possibilité serait celle de l’impôt suisse de revente.
D’après l’auteur, Silvio Gesell aurait négligé les problèmes techniques de la réforme agraire, tels le financement, la parcellisation et la gestion des terres, mais ils pourraient être résolus en faisant les dépenses nécessaires. Toutefois, on ne dispose que de peu d’exemples réels de terre franche, les seuls se rapportant à des tentatives de coopératives aux succès divers.
Si les réformes monétaire et agraire sont des étapes importantes menant à une société civile libre, elles ne garantissent pas nécessairement un usage des ressources naturelles adapté aux générations futures. Quelques auteurs modernes, tels Kennedy et Eisenhut, proposent donc d’ajouter à ces deux réformes une troisième, la réforme fiscale écologique.

Le fondement philosophique de la théorie de l’Ordre économique naturel

Dans la cinquième partie, l’auteur jette un regard critique sur le contexte historique et le fondement philosophique de la théorie de l’Ordre économique naturel et trace les perspectives d’une méthode solide de réforme moderne. Il examine aussi les interactions entre la théorie de l’économie naturelle et les autres théories économiques ainsi que les mouvements de réforme socio-économique.
La parenté de ces pensées avec celles de Proudhon, leur démarcation par rapport à Marx, l’influence de George, de Nietzsche, de Stirner et d’autres sont expliquées. Les caractéristiques philosophiques de l’œuvre de Gesell sont décrites et font l’objet d’une appréciation. Tel est le cas de sa conception controversée de l’Etat, de son aversion envers les frontières et les douanes, du problème du droit intégral au produit du travail, de sa conviction d’une harmonie libérale, de son darwinisme social sujet à des malentendus, de son approbation de l’émancipation féminine – il propose notamment de verser une partie des fermages aux femmes en charge d’enfants – et de ses rapports avec les mouvements réformateurs de l’époque.
Décrivant les relations entre l’Ordre économique naturel et la théorie économique générale, l’auteur indique comment Irving Fischer reconnaissait l’œuvre de Gesell et comment John Maynard Keynes la louait et la critiquait. Relevons que Keynes considérait l’œuvre de Gesell comme plus prometteuse que celle de Karl Marx. Aujourd’hui, ce sont surtout Helmuth Creutz, son disciple Margret Kennedy ainsi que Bernard Lietaer, Werner Onken, Werner Rosenberger, Bernd Senf et Dieter Suhr qui poursuivent l’œuvre de Gesell.

S’éloigner de la société 20/80

L’auteur voit dans l’Ordre économique naturel la chance de nous éloigner de la société 20/80 et de nous rapprocher d’une société civile plus libérale. Il propose d’entamer des recherches et de faire des expériences pour mieux connaître ce domaine.
La thèse de doctorat est écrite de manière à permettre au profane de s’y intéresser et de se demander comment organiser l’économie de façon à ne plus être dominé par elle avec son cortège de guerres, de chômage généralisé, de manque d’argent et d’injustice sociale, mais à faire en sorte qu’elle nous serve à organiser notre vie de citoyens libres et prospères dans un ordre social adéquat et prometteur.
*Roland Wirth. Marktwirtschaft ohne Kapitalismus. Eine Neubewertung der Freiwirtschaftslehre aus wirtschaftsethischer Sicht. St. Galler Beiträge zur Wirtschaftsethik 34, 2003, ISBN 3-258-06683-3
Extraits:

La justice sociale

«Il n’y a justice que si l’équivalence morale de tous les hommes est assurée. Il faut tenir compte dans les mêmes proportions des prétentions légitimes de tout homme concerné par une action concrète ou une réglementation abstraite. Un dialogue ouvert concernant la légitimité des prétentions, lors duquel chacun a les mêmes chances d’être entendu et de faire valoir ses motifs, doit être instauré. Si l’on fait fi des prétentions légitimes de certains groupes ou ne serait-ce que d’un homme, il ne peut être question d’une solution juste. Dans ce cas, la décision correspond au ‹droit du plus fort›, ce que la raison éthique ne saurait soutenir.»
Roland Wirth: Marktwirtschaft ohne Kapitalismus

La société civile libérale

«La société civile se constitue surtout par un statut complet du citoyen. Le citoyen est considéré comme un homme complètement développé sur les plans intellectuel et moral, non seulement en état de déterminer par soi-même son existence, mais aussi de participer activement à la vie sociale et politique. Il s’intéresse au bien commun au sens républicain du terme […] Non seulement les droits généraux du citoyen dans leur plénitude, mais aussi la disposition de chacun à se soucier spontanément des intérêts communs font partie du statut du citoyen.»
Roland Wirth: Marktwirtschaft ohne Kapitalismus

Liberté positive

«Le néolibéralisme dont sont empreints les économistes limite pour une grande part la liberté individuelle à la liberté économique et contractuelle. […] Si la mort par famine menace quelqu’un, cette personne se vendra délibérément comme esclave si l’on assure son approvisionnement en vivres. Visiblement, cette attitude n’a aucun rapport avec une liberté bien comprise. Les chances de vie d’un tel individu sont bien moindres qu’elles ne pourraient l’être, compte tenu de l’abondance de biens dans le monde.»
Roland Wirth: Marktwirtschaft ohne Kapitalismus
(Horizons et débats, 29 janvier 2007, 7e année, N°4)