Thursday 11 February 2010

haiti: "le negre vous emmerde!"

Régis Debray en Bolivie et en Haïti


par Claude Ribbe*


En 2004, la France se réconciliait avec les Etats-Unis en participant au renversement du président Jean-Bertrand Aristide. Côté français, le coup d’Etat était organisé par l’intellectuel pseudo-révolutionnaire Régis Debray. Témoin privilégié de ce drame, l’écrivain Claude Ribbe, qui fut membre de la Commission internationale d’experts sur la dette d’Haïti, relate ici le complot, la campagne de diffamation contre le président Aristide, son enlèvement et sa séquestration. Paris avait prévu de réinstaller au pouvoir l’ex-dictateur Jean-Claude Duvallier, mais les Etats-Unis imposèrent au dernier moment leurs hommes, Boniface Alexandre et Gérard Latortue.


11 février 2010

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Régis Debray, pseudo révolutionnaire et authentique barbouze

Regis Debray, bavard « compagnon » du Che

Je le savais ! Je savais bien que le fumet des cadavres d’Haïti en décomposition ferait sortir Regis Debray, l’homme qui croit que Villepin, dont il a certainement accroché le portrait dans sa chambrette, juste au-dessus de son lit, sera couronné empereur des Français en mars 2012. Regis Debray rêve d’être ministre de la Culture de Napoléon IV. Il a raison. Donc toutes les occasions sont bonnes. Il n’aura pas fallu dix jours. Quel flair ! Après les conseils donnés par Villepin à Nicolas Sarkozy, Regis Debray monte au créneau en déclarant à France Inter qu’il faut mettre Haïti sous tutelle.

Alors parlons de Régis Debray que j’admire beaucoup, je tiens à le préciser. J’aimerais avoir son style mesuré, et cette envolée qui me rappelle d’ailleurs un peu le style de Villepin. C’est vrai, je n’avais jamais remarqué : il y a quelque chose de commun dans leurs écrits. Je me demande pourquoi. Il faudra que j’y réfléchisse quand j’aurai un moment. Donc je ne me serais jamais intéressé à ce vieux réactionnaire un peu rogue, mais tellement attendrissant dans ses certitudes, ce vieux guérilléro dont les idées sont passées, certes (les costumes aussi d’ailleurs) ; je ne me serais jamais intéressé à lui si je ne l’avais trouvé sur ma route d’une manière étonnante que je vais narrer en détails. Inutile de revenir sur son rôle héroïque dans l’arrestation de Che Guevara. Il en a été le compagnon et il a raison de s’en glorifier. Les ex-soixante-huitards français le tiennent tous pour un révolutionnaire exemplaire. Tout ce que j’aurais voulu être ! Mais les mauvaises langues —dont la fille de Che Guevara qui n’est certainement qu’une folle minée par le chagrin— disent que c’était un traître vendu aux Etats-uniens. Viles calomnies, évidemment, simplement fondées sur le fait que Che Guevara, qui se trouvait secrètement en Bolivie en 1967 et dont une taupe de la CIA révéla la présence, écrivit des choses dans son journal. Mais j’entends déjà les lecteurs de ce grand écrivain français (et certainement futur académicien, en tout cas futur ministre de la Culture) ; je les entends s’indigner. Ils réclament des détails. Des détails ? Très bien, mais cela va allonger mon propos. Tant pis. Revenons en 1967. Voici ce que note le Che dans son journal le 28 mars :

« Le Français a défendu avec trop de véhémence le fait qu’il serait utile dehors. »

Je ne vois là que des soupçons infondés. Debray, jeune intellectuel gaulliste déguisé en guérillero, fils d’une sénatrice gaulliste et de… je ne sais plus qui, un autre gaulliste, je crois, était à l’époque en Bolivie avec Che Guevara [1]. Mais il était pressé de s’en aller. Le Che se méfiait de cette envie précipitée de prendre l’air. Hasard heureux ou malheureux (on ne sait trop), Debray a été arrêté par les Boliviens qui travaillaient avec la CIA. Une fois aux mains de ces gens, je ne doute pas qu’un intellectuel de la trempe de Debray a été discret. Mais le Che, lui, avait des doutes. Après l’arrestation de Debray et de son compagnon Bustos, un autre intellectuel émérite, aussi fiable que Debray, les Boliviens et la CIA furent informés que le Che était en Bolivie. Après cette arrestation, voici ce que le Che note, à la date du 30 juin 1967 :

« ... Sur le plan politique, le plus important est la déclaration officielle d’Ovando selon laquelle je suis ici. De plus, il a dit que l’armée fait face à des guérilleros parfaitement entraînés qui, même, comptaient des commandants vietcongs qui avaient mis en déroute les meilleurs régiments nord-américains. Il se base sur les déclarations de Debray qui, semble-t-il, a parlé plus que nécessaire bien que nous ne puissions savoir quelle implication cela a, ni quelles ont été les circonstances dans lesquelles il a dit ce qu’il a dit... »

Debray avait été arrêté et interrogé par les Boliviens et la CIA, notamment les 8 et 14 mai 1967. Je ne doute pas qu’il ait été héroïque, même s’il avait reçu quelques claques. Pauvre Régis !

Toujours dans son journal, Che Guevara note encore, à la date du 10 juillet :

« Par ailleurs, les déclarations de Debray… ne sont pas bonnes ; surtout parce qu’ils [Debray et Bustos] ont fait des confessions à propos du but continental de la guérilla, chose qu’ils ne devaient pas faire. »

Des « confessions » ? Et puis quoi encore ? Là, je doute de l’honnêteté du Che.

Mais puisque vous voulez tout savoir sur le futur ministre de la Culture de Napoléon IV, je suis obligé d’ajouter que, vingt ans après les faits, un général bolivien, Arnaldo Saucedo Parada, chef des services secrets de la 8ème division, celle-là même qui opérait contre la guérilla du Che, donna sa version et publia même des documents concernant les informations obtenues par l’armée sur la guérilla [2]. Faut-il croire cet homme ? Certainement pas. Mais, par honnêteté, je livre in extenso ce qu’il précise :

« L’existence de la guérilla a été portée à la connaissance de l’armée le 11 mars, lorsque les guérilleros déserteurs Vicente Rocabado Terras et Pastor Barrera Quintana se sont retrouvés au pouvoir de la Direction provinciale d’enquêtes —DIP— et ont été ensuite remis aux autorités militaires de Camiri. Ces déserteurs ont clairement informé du fait que la guérilla se préparait sur les rives du Ñancahuazu avec des éléments cubains, péruviens, argentins et boliviens et que le chef était Che Guevara, sous la protection de Fidel Castro depuis Cuba ; ensuite, cette information a été complétée par un autre guérillero arrêté le 18 mars, Salustio Choque Choque et confirmée par Régis Debray et Ciro Roberto Bustos, le 8 mai 1967, au cours de l’interrogatoire auquel a procédé le J-2 du Commandement des forces armées, Federico Arana Cerudo, qui relate cela, le lieutenant colonel des carabiniers Roberto Quintanilla et Mario Gonzalez, de la CIA.

Quand on lira les mémoires de Bustos dans ce livre, on verra que l’empressement avec lequel les théoriciens Debray et Bustos voulaient quitter la zone de danger a été la cause principale de l’échec rapide de la guérilla, parce que cela a obligé toute la troupe à aller à Muyupampa et, par le Yuque ; à cause d’un malade, Che a laissé l’arrière garde avec Joaquin et, au retour, ils ne se sont pas retrouvés et la recherche des uns et des autres a accaparé toute l’attention de Guevara et Joaquin, leur a lié les mains, les empêchant d’effectuer d’autres actions militaires, qui auraient peut-être donné de plus grands avantages, avec des résultats imprévisibles dans ce genre de lutte, parce que tant que l’ennemi n’est pas écrasé et ne s’est pas rendu sans condition, la guerre ne s’arrête pas [« Même trois personnes peuvent continuer à lutter dans la guérilla. » , Régis Debray, in Révolution dans la révolution] et les résultats peuvent varier en fonction des analyses de la situation qui se font au sein des états majors, ce qui est certain, c’est que cette division de la guérilla a été un accident qui lui a enlevé de la force et le début de la fin. Cela a été le prélude du Gué du Yeso et du Churo.

Avec la chute de Debray et Bustos à Muyupampa, le 20 avril, nous avons eu un panorama large et clair des guérillas, ordre de bataille, organisation et autres questions inconnues jusqu’alors, confirmation de la présence de Che Guevarra et du groupe de cubains, tant grâce aux déclarations de Debray et Bustos que par le bulletin de mémoires écrit par ce dernier et qui, immédiatement, a été porté à la connaissance du Commandement Supérieur, de même que les originaux des portraits de 20 guérilleros effectués au crayon et de mémoire qu’il a fait ensuite et plus encore, une description détaillée par écrit des caractéristiques physiques de chaque guérillero et ensuite les croquis détaillés des campements et caches qui ont permis de découvrir les "grottes" où ils cachaient leurs armes et leurs équipements etc...

La Section 2 de la 8ème division a également obtenu de Régis Debray une lettre écrite de sa main le 14 mai et dans laquelle il confirme la présence de Che Guevara en Bolivie et signale que c’est Fidel Castro lui même qui l’a envoyé le rencontrer. Cette lettre —l’original— a été envoyée au Commandant en chef. Indubitablement, c’est de l’arrestation de Debray et Bustos que l’armée bolivienne tire la preuve du fait que le Che est là. Les deux confirment aux services secrets que le Che est là.

Une autre chose qui a eu une grande influence a été la séparation d’avec le groupe de Vilo, de l’arrière-garde. Cela a été une séparation involontaire, mais qui a été due précisément à l’insistance avec laquelle Debray a demandé à partir. Face à cette situation —jour et nuit, il parlait avec le Che— il soulignait qu’il serait plus utile à la ville, nouant les contacts, que physiquement, il n’était pas guérillero, qu’il voulait partir, qu’il pouvait être très utile dehors (…)

Dans la guérilla, il [Debray] n’a rien fait d’extraordinaire. Debray a passé son temps à parler de quitter la guérilla. Pour moi, compte tenu de tout ce qu’il a écrit, il a essayé de gagner la confiance de la Révolution cubaine et du Che. Je ne sais pas quel était son objectif. Avec ce qu’il a fait, la position qu’il a prise ces derniers temps, je n’exclue pas qu’il ait pu jouer sur les deux tableaux.

Le Che a agi de manière conséquente envers lui, il a même été compréhensif lorsque Debray lui a parlé de son désir d’avoir un enfant (…) Je vous disais précisément que la séparation en deux groupes (…) C’est quelque chose que personne n’a dit et je dirais à Debray qu’il soit plus honnête, qu’il dise que la guérilla a eu plus de problèmes par sa faute, qu’il dise au moins une fois qu’il a été responsable de la séparation de la guérilla (…) Lorsque les hommes, n’ont pas l’envergure voulue, ils peuvent changer d’avis et Ciro Bustos a changé d’avis. Il s’est vu prisonnier, il semble qu’ils l’ont menacé et il a "déteint", il a perdu sa couleur. C’est ce que je crois à propos de Ciro Bustos, et de Debray —je le répète— je pense qu’il jouait sur les deux tableaux. »

Tout le monde aura compris que ce général est un affabulateur. « Il a joué sur les deux tableaux ». Insensé ! De telles accusations ne méritent même pas d’être démenties. Voilà donc pour 1967 [3]. Refermons le dossier. Rien de bien grave. « Debray a parlé plus que nécessaire » mais c’est Che Guevara qui le dit. « Il a fait des confessions qu’il n’avait pas à faire. » C’est encore le Che qui le dit. Je me demande si ce Che n’était pas au fond un peu jaloux de notre grand intellectuel et de notre merveilleux écrivain national, pour douter ainsi de son ami. Le rôle mineur de Che Guevarra dans la révolution cubaine peut-il être un seul instant comparé aux exploits de Régis Debray ? Evidemment non ! Il suffit pour s’en persuader d’admettre la vérité : Guevara n’était qu’un perdant. La preuve ? Il est mort, pris et exécuté sommairement le 9 octobre 1967, alors que le courageux Debray, lui, a survécu et il même est devenu célèbre en racontant, pendant 43 ans durant, ses glorieuses aventures dans la jungle bolivienne. Comme je l’envie ! Donc tout cela ne prouve rien. Seulement que le Che était paranoïaque et, au pire, que Régis Debray aime la conversation et parle à tout le monde. Même à la CIA. Quoi de mal à cela ? C’est sans doute à cause de cette affabilité naturelle que Nicolas Demorand l’a invité le 22 janvier 2010 au micro de France Inter. A-t-il trop parlé ? Non, il a juste dit qu’il fallait mettre Haïti sous tutelle.

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Les militaire boliviens exposent la dépouille mortelle d’Ernesto Che Guevara.

Debray, négationniste de l’esclavage

Dès 2002, j’avais tenté d’attirer l’attention d’un certain nombre de responsables de tous bords sur l’intérêt qu’il y aurait pour la France de participer dignement à la célébration du bicentenaire d’Haïti, prévue pour le 1er janvier 2004. Parmi ces responsables, Valérie Terranova, très proche de Jacques Chirac et officiellement conseillère à la Présidence de la République pour la francophonie. Officieusement, elle s’occupait aussi du Japon et des bonnes oeuvres d’Omar Bongo. Valérie Terranova s’était présentée à moi le jour du transfert au Panthéon des cendres d’Alexandre Dumas. C’est elle qui avait eu l’idée de ce transfert et qui l’avait imposée à Chirac lequel s’intéressait autant à Dumas que moi au football et au fromage de tête. Terranova m’avait proposé de déjeuner. J’avais tenté d’expliquer à cette jeune femme parfaitement superficielle et inculte, dont la seule ambition, outre le fait de "servir le Président" était de faire accepter à Hollywood un scénario qu’elle avait écrit avec son frère, les origines haïtiennes des Dumas et la nécessité d’assumer avec dignité notre passé esclavagiste pour mieux combattre le racisme. C’était également une manière d’aider les Haïtiens à sortir du marasme où la France avait largement contribué à les plonger.

D’après le rapport qu’elle fit de notre rencontre, ce qui fut retenu à l’Élysée était l’imminence des célébrations du bicentenaire (auxquelles, par ignorance, personne n’avait songé), le fait que les anti-napoléoniens s’organisaient à Port-au-Prince, la dangerosité de certains nègres français plus intelligents qu’on aurait pu le croire et l’urgence de parer le coup en montant rapidement une expédition punitive. Il lui fallait un général. On choisit Régis Debray et on lui assigna une double mission. D’abord constituer un rempart d’intellectuels contre la montée des revendications « mémorielles » en France. La seconde mission était de saboter le bicentenaire de l’indépendance d’Haïti et de prêter main forte à un probable coup d’Etat décidé par Washington contre Aristide, qui était le premier président démocratiquement élu de l’histoire d’Haïti et qui avait l’audace d’évoquer le passé peu glorieux de la France : 150 ans d’esclavage, 1 million d’Africains déportés, 5 millions de morts en Afrique du fait de cette déportation d’une part, un racket de 21 milliards de dollars imposé manu militari par Paris en 1825 d’autre part [4].

Debray, devenu grenouille de bénitier, était l’ami intime de la soeur de Dominique de Villepin, Véronique Albanel, épouse d’un général de l’armée de l’air dont Villepin envisageait de faire le chef d’état major des armées. La générale animait une mystérieuse association en télépathie avec le Vatican, dénommée Fraternité-Universelle, disposant en apparence de gros moyens, et qui était présente, sous prétexte d’intervention humanitaire, sur tous les points chauds du tiers monde et en particulier en Haïti. Cette Mata-Hari de confessionnal recrutait à sciences-po, via l’aumônerie. Debray était ravi de pouvoir se prosterner aux pieds des puissants du moment : Chirac, Villepin. Il allait redevenir, comme sous Mitterrand, le conseiller du prince. Il pourrait faire livrer des armes à ses vieux amis sans d’ailleurs forcément utiliser la procédure normale. On lui redonnerait peut être même un bureau à l’Elysée.

Utilisant son image, totalement frelatée, d’intellectuel de gauche et son influence dans certains milieux de l’édition, où il était d’autant plus admiré qu’on ne comprenait rien, comme lui-même d’ailleurs, à ce qu’il écrivait, le « médiologue » battit d’abord le rappel des écrivains haïtiens et antillais. Tout le monde n’est pas insensible à un contrat d’auteur, à une visibilité dans les médias, dans les colloques, à un poste dans l’université, à une enveloppe pour une association, à une décoration, à un visa pour un parent, un ami, une maîtresse, à une naturalisation. Ensuite, il fallait trouver des historiens qui puissent minimiser l’esclavage transatlantique. Les choix se portèrent sur Olivier Pétré-Grenouilleau, obscur maître de conférences à l’Université de Lorient, qui venait de soutenir une thèse plus que contestable expliquant en gros que les pires esclavagistes étaient les Africains et les arabes et que la traite atlantique était une oeuvre de charité au fond assez ruineuse pour les négriers français et les colons antillais. Debray, publié chez Gallimard, fit certainement le nécessaire pour que Pierre Nora, vieillard bien connu pour sa négrophobie pathologique, et qui dirigeait une collection d’histoire dans la prestigieuse maison, publie également Pétré-Grenouilleau. Un contrat fut donc signé chez Gallimard. Il était cependant à craindre que les intellectuels « noirs » ne ruassent dans les brancards. On choisit, pour appuyer Pétré-Grenouilleau, un docile maître de conférences à l’Ecole pratique des hautes études, Pap Ndiaye, proche, par sa femme, d’Yves Kamani, très officiellement chargé au CRIF d’un bureau des « noirs ». Pap Ndiaye avait l’avantage d’avoir des contacts avec les néo-réactionnaires états-uniens. Il animait une obscure association, le Capdiv. On le chargea de monter au créneau le moment venu pour défendre l’indéfendable et, s’il le pouvait, créer discrètement une organisation de « noirs » à laquelle on donnerait les moyens d’occuper le terrain et d’être légitimée comme représentative. Le meilleur ami de Jacques Chirac, François Pinault, qui avait fondé sa fortune sur l’exploitation des forêts africaines serait sollicité. Outre les éditions Tallandier, spécialisées dans la glorification de Napoléon, il était propriétaire de trois magazines : Le Point (acheté en 1997 pour échapper à l’ISF) Historia et L’Histoire. Les deux derniers faisaient dans la vulgarisation historique. Il fut décidé de consacrer un numéro spécial à l’esclavage, qui ferait la promotion de Pétré-Grenouilleau et en même temps celle de Pap Ndiaye.

Pour que l’opération négrophobique Villepin-Debray soit vraiment réussie, on désigna un « méchant » : l’humoriste Dieudonné qui se trouva, consciemment ou non, embarqué dans cette histoire par l’intermédiaire d’un activiste : Alain Soral. Tous ceux qui diraient le contraire de Pétré-Grenouilleau seraient des antisémites forcenés inspirés par Dieudonné. « Plus la ficelle est grosse, moins elle casse » (Chirac). Le jour où Dieudonné serait démonétisé, on sortirait un autre joker : Kémi Séba.

Côté Haïti, Villepin donna des fonctions officielles à Debray et des moyens financiers en le nommant président d’une commission chargée de « réfléchir » sur les relations franco-haïtiennes. La mission véritable était de préparer un coup d’Etat. La partie diplomatique de cette opération fut confiée à trois hommes : Philippe Selz, ancien ambassadeur au Gabon, placé auprès de Régis Debray pour déstabiliser Haïti en Afrique, Thierry Burkard, beau-frère d’un entraîneur de chevaux de course à Chantilly, nommé ambassadeur à Port-au-Prince pour orchestrer la chienlit locale, Eric Bosc, secrétaire à l’ambassade de France, chargé de désinformer la presse française depuis Port-au-prince et d’accorder des visas aux « bons » Haïtiens, c’est-à-dire ceux qui accepteraient de venir à Paris cracher sur le président démocratiquement élu. Bosc (depuis expulsé du Togo pour ingérence) était tellement paranoïaque et négrophobe que cela l’avait rendu presque fou. Il voyait des roquettes braquées sur l’ambassade de France depuis le bureau d’Aristide qui célébrait des messes noires avec sacrifices d’enfants coupés en morceaux. Voilà les « tuyaux » qu’il livrait au correspondant du Monde, établi à Santo-Domingo et proche des Duvaliéristes : Jean Michel Caroit.

Des réunions se tenaient à Paris chez Véronique Rossillon, une héritière de la famille Seydoux-Schlumberger qui s’était offert un lycée à Jacmel, le lycée Alcibiade-Pomayrac qu’elle finançait entièrement de ses deniers, ce qui lui donnait une position pour s’intéresser aux affaires du pays et interférer dans la diplomatie française. Je fus mis en relations avec elle par un ami français, dont j’ignorais à l’époque qu’il avait fait partie du mouvement Jean-Claudiste de Baby-Doc. Car Jean-Claude Duvalier, clandestinement hebergé par la France depuis 1986, était toujours actif. Il fut mis dans la boucle. N’était-ce pas Debray qui avait géré son arrivée en France en 1986 au moment de la transition entre Fabius et Chirac ? Duvalier n’était pas venu les mains vides. Dans l’avion des services secrets US qui l’avait déposé à Grenoble, il y avait 900 millions de dollars d’ « économies », ce qui explique sans doute que son séjour temporaire en France, prévu pour six mois, se soit prolongé pendant 24 ans sous haute protection policière. Tous les ministres de l’Intérieur qui se sont succédés durant ce quart de siècle ont juré croix de bois croix de fer qu’ils ne savaient pas où il était.

Madame Rossillon, dont j’étais loin de soupçonner le rôle, me reçut à déjeuner dans son hôtel particulier de la rue Las-Cases et, pensant probablement m’impressionner, me fit un numéro de vieille milliardaire capricieuse assez pathétique. J’eus droit au dessert à un portrait apocalyptique tant du président Aristide que de ses partisans, dont elle alla jusqu’à mimer l’accent « haïtien » avec un mépris ostensiblement raciste qui me terrifia. Elle m’énuméra ensuite les décorations que Duvalier lui avait décernées et comme je n’était pas convaincu elle me déclara que mon entêtement lui rappelait celui de son défunt mari, Philippe Rossillon, qui avait fondé le groupe Patrie et Progrès, dont avait fait partie Jean-Pierre Chevènement, et avait milité pour rallier les gaullistes de gauche à l’Algérie française. En 1968, les Canadiens l’avaient accusé d’être une barbouze chargée de semer la zizanie au Québec. Je ne sais donc pas si cette comparaison était bien flatteuse. Je reçus quelques jours plus tard un appel de M. Selz, m’annonçant que Debray voulait me voir, à la demande de Mme Rossillon.

Pour composer sa commission, l’ex-guérilléro bavard avait réuni un noyau dur d’universitaires chargés d’accréditer les thèses de Pétré-Grenouilleau et de discréditer tous ceux qui les critiqueraient : Myriam Cottias et Jean-Marc Masseaut, négrologues labellisés par le gouvernement, Marcel Dorigny, représentant l’aile chiraquienne du Parti communiste, chargé de contrôler les travaux universitaires entrepris sur l’esclavage dans le cadre d’une association rassemblant quelques thésards naïfs, Yvon Chotard, un socialiste qui devait bientôt se défroquer pour passer à l’UMP et qui animait alors l’association Les Anneaux de la mémoire, antenne associative du quai d’Orsay. Pour faire bonne mesure et colorer un peu cette commission de visages pâles Jacky Dahomay, prof de philo guadeloupéen incapable d’être reçu à l’agrégation, mais qui bénéficait d’un tout autre sésame puisqu’il était le protégé de Blandine Kriegel, une maoiste devenue, en s’embourgeoisant, conseillère de Chirac et présidente du Haut conseil à l’intégration.

Régis Debray, pour se faire pardonner les péchés qu’il allait commettre et pour bénir le coup d’Etat, embarqua dans cette nouvelle aventure le père dominicain Gilles Danroc. Serge Robert, PDG de la Banque des Antilles françaises représentait les intérêts financiers des Békés de la Martinique dont Madame de Villepin faisait secrètement partie. Le sociologue Gérard Barthélémy devait mettre à la disposition de Debray son carnet d’adresses en Haïti. Quant à François Blancpain, spécialiste du racket imposé aux Haïtiens par la France en 1825, il devait élaborer un argumentaire permettant de ne pas rembourser ce qui avait été extorqué.

Les rôles furent vite distribués. Le noyau dur fut mis au courant du coup d’Etat qui se préparait. Les autres restèrent à l’écart ou firent semblant de ne pas comprendre. On leur demanda simplement de saboter le bicentenaire en le discréditant à travers leurs réseaux. Il suffisait de dire qu’Aristide était un satrape pervers et corrompu : une thèse concoctée dans les officines de la CIA et qui serait reprise à pleins poumons par toute la presse française. Le rôle clé de cette commission était détenu par quelqu’un qui n’apparaissait pas dans l’organigramme, la générale Albanel, alias Véronique de Villepin qui était envoyée par son frère comme une nouvelle Pauline Bonaparte accompagnant ce général Leclerc chargé de rétablir l’esclavage qu’était devenu Régis Debray. Un esclavage qu’on appellerait désormais « tutelle ».


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Jean-Bertrand Aristide

Jean-Bertrand Aristide

Sept avril 2003. Le monde entier célébrait le bicentenaire de la mort de Toussaint-Louverture, enlevé et assassiné par Napoléon. En France, une seule manifestation, organisée par le Fort de Joux. Pour représenter le gouvernement Raffarin, Hamlaoui Makachera, le ministre des Anciens combattants ! La loi Taubira avait été votée depuis deux ans déjà, mais le gouvernement refusait obstinément de prendre le décret d’application qui permettrait à cette loi d’être autre chose que lettre morte. Toussaint Louverture remuait ce passé dérangeant dont les responsables politiques comprenaient très bien qu’il avait une influence sur la politique intérieure et extérieure. L’exhumation de l’histoire de l’esclavage est un des volets de la lutte contre le racisme et la lutte contre le racisme est, en soi, une prise de position éminemment politique, un regard révolutionnaire et ravageur soudain porté sur le monde. Il a même été dit qu’une opération secrète ouvertement négrophobe avait été organisée par de hauts responsables français sous le nom de code « Source ». Villepin en aurait bien été capable.

J’avais décidé de me rendre au Fort de Joux pour saluer la mémoire du martyr de la liberté et j’avais réservé un billet. Dans le train, je me trouvais curieusement assis à côté de la diplomate, blonde évidemment, chargée d’Haïti au quai d’Orsay. Le hasard, sans doute. Elle en profita pour se faire connaître et engager la conversation. Elle me tendit sa carte. Elle s’appelait Dominique Waag-Makaïa. Naturellement, elle m’invita à passer à son bureau. Ce qui est plus curieux, c’est qu’elle était toujours à côté de moi dans le train du retour. Je le lui fis remarquer et elle ne me répondit que par un petit sourire entendu.

Un conseiller à la présidence de la République d’Haïti, le regretté Pierre Claude, avait lié conversation avec moi au Fort de Joux. Il m’exprima, au nom des Haïtiens, sa gratitude pour mon combat en faveur du général Dumas. Devant rentrer au pays, il m’engagea à lui confier un exemplaire de mon dernier livre, L’Expédition [5], qu’il transmettrait au président Aristide. Je ne connaissais ce dernier que par toutes les calomnies dont on m’avait jusqu’alors abreuvé. La chose qui me semblait louche, c’était que les journalistes français se déchaînaient contre Aristide, mais ne parlaient jamais de Duvalier, que la France hébergeait pourtant. Il faut dire qu’Aristide, en ce 7 avril 2003, avait eu l’audace de faire savoir aux Français qu’il avait fait le calcul de ce qu’avait coûté en définitive, emprunts compris, le racket imposé par la France en 1825. Il en arrivait au chiffre de 21 milliards de dollars. La perspective d’un procès engagé par le petit Etat pour faire valoir ses droits avait mis en effervescence le gouvernement français, et surtout Villepin, ministre bonapartiste des Affaires étrangères, qui se voyait président de la République française en 2007.

A ma grande surprise, Aristide, non seulement prit le temps de lire mon livre, mais me téléphona. Il m’invitait à venir le voir pour bavarder de l’histoire d’Haïti. J’en provoquai l’occasion en proposant un livre d’entretiens à Jean-Paul Bertrand, mon éditeur depuis huit ans, qui m’envoya bientôt sur place. C’est à cette occasion que je pus converser pendant une trentaine d’heures en tête à tête avec celui qui était présenté par la presse putschiste comme un dictateur vicieux et pervers. J’ai bien entendu conservé en lieu sûr tous ces enregistrements, qui annonçaient exactement tout ce qui a pu se passer par la suite. Mon impression, corroborée par une minutieuse enquête sur le terrain, fut très différente de ce que j’avais entendu à Paris. Je découvris un homme sympathique, doux et cultivé qui n’avait nullement renoncé aux objectifs sociaux qui, par deux fois, l’avaient fait élire à une très large majorité. Seulement, comme il était inflexible quant à l’indépendance de son pays, les Etats-uniens avaient mis ce pays sous embargo et avaient engagé contre son président légitimement élu une campagne de dénigrement, ce qu’on appelle dans le langage technique de la guerre psychologique character assassination. Au lieu de tuer la personne et d’en faire un martyr, on tue son image dans les médias, ce qui permet de l’éliminer physiquement ensuite en toute discrétion.

Une « opposition » avait été montée de toutes pièces par un Syro-américain vivant en Haïti (et n’ayant pas la nationalité haïtienne) André Apaid, milliardaire blanc de peau agissant notoirement pour la CIA, mais présenté par la presse française comme un Haïtien noir représentatif des travailleurs [6]. L’enjeu ? Le sous-sol d’Haïti, jusque là inexploité : pétrole, uranium, or, cuivre, iridium. Aristide était au fait des richesses potentielles de son pays. Les Etats-uniens aussi. Ils savaient qu’il savait. Comme nous avions sympathisé, le président m’avait mis dans la confidence. Aristide était non seulement soucieux des intérêts de son pays, mais il avait conscience du rôle qu’il pouvait et devait jouer pour tous les Africains de la diaspora, tous ceux qui, comme moi, étaient méprisés dans leur pays de naissance à cause de leur couleur. Il était très conscient de ce qui se passait dans les banlieues françaises, en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane. Dès 1804 son misérable petit pays avait fait le serment d’envoyer des commandos partout où se trouverait un seul nègre maintenu en esclavage. Cette politique restait, hélas, d’actualité. Sans nous connaître, nous étions arrivés aux mêmes conclusions.

J’étais chez moi à Port-au-Prince. Je l’avais ressenti dès que l’avion avait commencé, à la tombée de la nuit, son approche vers l’aéroport international de Port-au-Prince. Haïti était démunie, mais les plus humbles avaient une fierté dans le regard et dans le comportement qui ne pouvait que frapper les moins observateurs. Cette flamme que je vis briller dans les yeux du premier Haïtien rencontré sur son sol, avait effacé en un éclair le souvenir amer de toutes les humiliations que je subissais dans mon propre pays depuis près d’un demi-siècle. Aristide n’était que l’incarnation politique, de toute évidence légitime, de ce regard. Les pauvres se seraient fait tuer sur place pour lui et ils représentaient une écrasante majorité. Je compris pourquoi ce nouveau Toussaint Louverture était considéré comme extrêmement dangereux par tous les négrophobes de la planète. Le problème n’était plus de savoir si ce qu’on disait de lui était vrai ou pas, mais de savoir s’ils réussiraient à l’éliminer avant la célébration du bicentenaire d’Haïti.

A mon retour j’avais pris rendez-vous avec Mme Waag-Makaïa, la secrétaire des Affaires étrangères rencontrée « par hasard » dans le train du fort de Joux pour lui donner mon sentiment sur Aristide : visiblement, tout ce qu’on disait relevait d’un coup monté des plus grossiers. L’intérêt de la France était de tendre la main aux Haïtiens et de se joindre à leurs louables efforts pour célébrer le bicentenaire de la république nègre. L’Histoire l’imposait. Lorsque je me trouvai dans les couloirs du quai d’Orsay, la jeune femme vint à ma rencontre et se mit à frapper à toutes les portes de la direction des Amériques, comme pour annoncer que tout le ministère se trouvait en danger, le monstre contaminé par Aristide étant arrivé dans la place. Le monstre, c’était moi.

Je me retrouvai bientôt dans un bureau, entouré de quatre diplomates, dont plusieurs, franchement agressifs, me harcelèrent de questions imbéciles dans lesquelles se trouvaient déjà toutes les réponses. On alla jusqu’à me reprocher d’avoir parlé à Aristide, car, disaient-il, il « ensorcelait » tous ceux qui l’approchaient ! En France, on appelle ça le charisme, mais quand il s’agit des nègres, le raciste perd toute rationalité et reproche aux autres la pensée primitive qui n’est en réalité que sa pensée propre. La haine qui étincelait dans leurs regards me surprit beaucoup. J’étais Français et je venais simplement donner mon opinion d’intellectuel sur un dossier qu’il leur appartenait de gérer. Cependant, les petits énarques qui m’entouraient ne faisaient aucun effort pour dissimuler un racisme que je n’aurais pas soupçonné dans une administration française de ce niveau. Pour ces gens, j’étais un étranger dans mon propre pays. Au départ, j’étais un nègre et au quai d’Orsay, par tradition, le rôle des nègres est de faire le ménage dans les bureaux avant l’arrivée des diplomates blancs de peau. Mais de nègre méprisable et a priori disqualifié que j’étais, je m’étais transformé en nègre révolté et dangereux. J’étais devenu un Haïtien. Et les Haïtiens, ils les haïssaient. Simplement parce que j’osais dire que mon pays, après 150 années d’odieuse oppression esclavagiste, avait en outre escroqué une jeune république affaiblie par une tentative française d’extermination, qu’il était temps de changer de politique, non seulement pour des raisons morales, mais parce que la France y avait également un intérêt géostratégique et économique évident. Je devais tranquillement discuter d’Haïti avec une compatriote a priori équilibrée. Je me retrouvais avec cinq individus déchaînés que je ne connaissais pas et qui étaient ses supérieurs hiérarchiques. Mon rendez-vous ressemblait de plus en plus à une sorte de garde à vue. L’un des diplomates ne se contenait plus et haussait le ton. Je voyais bien le moment où l’on allait commencer à me frapper. Quel crime avais-je donc commis pour déstabiliser autant des gens qui auraient dû être beaucoup plus surs d’eux puisqu’ils avaient de toute éternité raison, du fait de leur couleur et du fait qu’ils étaient là, dans un rôle officiel alors que moi, quels que soient mes diplômes ou ma valeur, ou à cause de mes diplômes et de ma valeur précisément, je ne serais jamais qu’un perturbateur, une monstruosité, un traître et un salaud à qui la France ne donnerait jamais rien que des coups bas ? J’étais le grain de sable qui contrariait un plan dont j’ignorais évidemment tout. C’était un vendredi. Voyant qu’ils ne réussiraient pas à me faire changer d’avis, mes « hôtes », dans leur affolement, avant de me « libérer », décidèrent devant moi qu’une réunion de crise serait tenue dès le lundi matin dans le bureau du directeur des Amériques.

Les Villepin

Novembre 2003. Le dossier faisant mousser Pétré-Grenouilleau, présenté comme un nouveau Thucydide, venait de paraître dans la revue L’Histoire appartenant à Pinault, l’homme du bois exotique. Si l’on n’avait pas osé y présenter les esclaves comme de vrais salauds, on n’en était pas loin. C’étaient au moins des imbéciles. N’étant pas assez malins pour vendre leurs congénères, comme l’avaient toujours fait les Africains, ils s’étaient fait prendre. Les négriers et les planteurs étaient, eux, très fréquentables. Et pas si riches que ça. Il fallait relativiser. Ce n’était sûrement pas l’argent de la traite qui avait financé le capitalisme. Et chacun y allait de son article. Même Françoise Chandernagor, dont on pouvait se demander ce qu’elle faisait là, se disait descendante d’esclave. Enfin d’un esclave. Un seul. Chacun sachant qu’elle vivait dans un hôtel particulier à Paris, en province dans un château, elle voulait montrer que c’était un choix identitaire. L’idée était que si les négros osaient un jour se présenter comme descendants d’esclaves, ils étaient attendus de pied ferme.

Je m’étais rendu au salon du livre de Brive pour y signer L’Expédition, mon second roman (et troisième ouvrage) qui racontait, du point de vue de Pauline Bonaparte, ce qui s’était passé en Haïti en 1802-1803. Comme il est épuisé, je n’ai aucune fausse honte à dire que c’était, selon moi, un bon livre et, dans la naïveté de mes débuts, je m’attendais à avoir un peu de presse. Il n’en fut rien, mis à part une émission sur RTL. Non pas que ce roman n’ait pas été remarqué, au moins par les quelques milliers de lecteurs qui l’achetèrent. Mais on jugea le sujet fort scabreux puisqu’il mettait en cause Napoléon. Le politicien en vogue, Villepin, ministre des Affaires étrangères fort content de lui, et se piquant d’écrire, était un fanatique de ce tyran. Quel journaliste aurait à l’époque osé déplaire à Villepin ? C’est pendant que je signais mes livres, attendant un peu tristement le chaland, que je reçus l’appel de l’ambassadeur Selz, le Monsieur Afrique de la commission Debray, m’annonçant que le guérilléro bavard voulait me voir de la part de la vieille dame de la rue Las Cases qui avait, paraît-il, insisté.

Peu après, un brouhaha se fit entendre. C’était l’arrivée de l’écrivain-ministre Villepin qui venait d’ « écrire » quelque chose. D’après un de ses éditeurs, qui n’est certainement qu’une mauvaise langue, il aurait « fallu beaucoup l’aider » comme on dit dans le jargon du métier. La flagornerie était telle que, pour honorer cet incomparable homme de lettres, on lui avait décerné dès son arrivée le grand prix du salon de Brive. Pour être sûr d’avoir du monde à son stand, qui par une ironie du sort, était presque en face du mien, il s’était fait accompagner par Bernadette Chirac. Une meute de journalistes était aux trousses du Dauphin. Les rombières locales, l’opus ministériel à la main, trépignaient d’impatience et d’émotion, prêtes à se battre pour un regard de ce nouveau Talleyrand. De mon côté, c’était beaucoup plus calme.

Tandis que je supportais cette scène indécente, contre toute attente, une admiratrice s’approcha. Une jeune femme blonde, la quarantaine. Prenant en mains un exemplaire de mon livre, elle engagea la conversation. Mon ouvrage avait vraiment l’air très intéressant. Elle aimait beaucoup les Antilles en général et Haïti en particulier. Elle avait assisté à la représentation de Monsieur Toussaint, la pièce d’Edouard Glissant, mise en scène par Greg Germain à Pontarlier, près du fort de Joux. Elle finit par me dire qu’elle était amie de Glissant et même qu’elle irait avec son mari passer Noël chez lui, à la Martinique. La conversation s’engagea sur Haïti. La dame semblait si passionnée, en apparence, par ce que je disais, qu’elle s’était accroupie. J’avais oublié et Villepin et l’émeute qu’il déclenchait, tout près, parmi ces vieilles groupies. Une petite demi-heure s’étant écoulée, mon admiratrice me dit qu’elle devait partir, mais qu’elle aimerait que je lui dédicace mon livre. Lorsque j’eus le stylo en main, elle me dit que c’était pour son mari. Je lui demandai un nom pour y associer une formule amicale. Elle me répondit avec un petit sourire et en baissant un peu la voix : « Dominique de Villepin ». C’était Marie-Laure Leguay, épouse de Villepin, béké de la Martinique, qui était ainsi venue au contact. On se doute que ce n’était pas un hasard, puisque je venais de recevoir sur mon portable l’appel de l’ambassadeur Selz m’invitant à rencontrer Régis Debray. Je fis ma dédicace à Dominique de Villepin « en espérant que cette lecture vous incite à célébrer dignement le bicentenaire d’Haïti. » La dame me demanda mes coordonnées que je lui laissai. Comment pouvais-je me douter que son mari allait préparer un coup d’Etat contre Haïti pendant les vacances de Noël dans la villa martiniquaise d’Edouard Glissant et qu’elle en était certainement informée ?

Burkard et Debray, les contre-révolutionnaires

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L’ambassadeur Thierry Burkard

Le nouvel ambassadeur de France, Thierry Burkard, avait été nommé pendant l’été 2003, avec pour mission de favoriser un coup d’Etat contre le président Aristide. Son prédécesseur, avant de quitter ses fonctions, avait d’ailleurs annoncé une « tempête ». Ne me doutant de rien, j’avais adressé à Burkard L’Expédition, dans l’espoir qu’il comprenne un peu mieux la situation. Il me proposa de prendre un café à Paris la veille de son départ, ce que j’acceptai. Il était visiblement prévenu contre Haïti, mais fit quelques efforts pour n’en rien laisser paraître, ce qui lui imposait une sorte de rictus. Comme nous avions des parcours universitaires similaires, il ne pouvait me parler avec le ton qu’il aurait sûrement utilisé avec un autre [nègre]. Mais il n’en pensait pas moins. D’où les contorsions de son visage.

Il me demanda s’il était vrai que le président Aristide organisait des « messes noires » dans son palais. On peut juger par là à quel point cet ambassadeur était diplomate. Je lui fis répéter la question et lui répondis que si c’était au vaudou qu’il faisait allusion, c’était à ma connaissance une religion, au même titre que n’importe quelle autre. Quant à des « messes noires » en Haïti, je n’avais jamais entendu parler de cela et je m’étonnais même qu’il me pose à moi cette question. Visiblement, du fait de sa mission, que je ne pouvais alors deviner, il avait très peur d’être « fétiché » par Aristide. Il était par ailleurs très agacé qu’on lui ait mis un Debray dans les jambes. Lorsque je pris congé, après lui avoir conseillé de prendre un exorciste (ce qu’il devait faire dès son arrivée à Port-au-Prince) l’ambassadeur insista pour payer nos deux cafés avec un billet de 500 euros tout droit sorti de l’imprimerie de la Banque de France, ce qui m’intrigua, d’autant que l’homme avait plutôt l’air d’un fesse-mathieu.

Debray me reçut chez lui, rue de l’Odéon, au milieu du mois de novembre. Un vieil appartement bourgeois, crasseux, à l’image de son occupant. Il s’efforça d’être affable et de dissimuler un sourire d’extrême suffisance sous sa grosse moustache qui ne le rendait pas, c’est le moins qu’on puisse dire, aussi sympathique que Georges Brassens, son modèle de jeunesse. Comme je me demandais si je serais capable de le prier de me chanter un couplet de Gare au gorille, le téléphone se mit à sonner. Le répondeur était branché. Le haut parleur aussi. Une voix de femme assez jeune laissa un message assez personnel qui me mit, on s’en doute, dans un certain embarras. Debray aurait pu se précipiter pour couper le son, mais finalement il devait être flatté de faire entendre qu’une jeune femme lui laissait un message de cette nature, ce qui était a priori très improbable pour ce sexagénaire revêche aux costumes seventies. Par la suite, je me convainquis que cette jeune femme était certainement Véronique de Villepin-Albanel, la soeur du ministre, ce qui devait porter la vanité du guérilléro bavard au-delà de toute mesure.

Les Haitiens sacrifiés pour se réconcilier avec Washington

Dominique de Villepin croyait avoir le plus grand intérêt, en cette fin d’année 2003, à déstabiliser Haïti et à renverser Aristide. D’abord il souhaitait se réconcilier avec les Etats-uniens avec lesquels il avait engagé, depuis le printemps, une partie de bras de fer. Les relations s’étaient dégradées à cause de l’Irak (Villepin s’étant opposé à l’invasion) et de l’affaire Executive life.

Pour la justice californienne, le Crédit lyonnais, dont l’actionnaire était l’État français, avait pris illégalement le contrôle de la compagnie d’assurance Executive life. Aux yeux des Etats-uniens, la France s’était comportée dans cette affaire comme un Etat voyou et des poursuites judiciaires pénales étaient engagées. Paris risquait d’écoper d’une amende faramineuse. Une violente campagne de presse était menée par la presse américaine. L’ambassade de France à Washington recevait quotidiennement des dizaines de milliers de mails d’insulte. C’était François Pinault, l’ami milliardaire de Chirac et de Villepin qui avait racheté la compagnie d’assurance au Lyonnais, via sa société Artémis. En la revendant ensuite, il avait gagné un bon milliard de dollars. De ce fait, Pinault était également l’objet de poursuites. Un jury populaire devait le condamner à 700 millions d’euros d’amende (on se doute que, depuis, tout s’est arrangé).

Pour Villepin, il importait donc de calmer le jeu avec les Etats-uniens. Or les Etats-uniens souhaitaient renverser Aristide. Rien de mieux qu’une bonne réconciliation sur le dos d’Haïti. D’autant que la France réactionnaire avait deux autres raisons de participer au coup d’État. En France, les citoyens d’origine africaine et antillaise étaient, et sont encore, implicitement traités comme des inférieurs (notamment par une absence complète de visibilité à la télévision et dans la vie politique). On redoutait les effets d’un bicentenaire d’Haïti auquel se seraient associé les pays africains en théorie indépendants mais contrôlés par la Françafrique et qui aurait glorifié des esclaves révoltés à la peau noire. Port au Prince ne devait pour rien au monde devenir l’axe de la renaissance africaine. Paris redoutait surtout l’ouverture du dossier de la dette de la France à l’égard d’Haïti (pour la rançon imposée par la force en 1825) que le président Aristide estimait à 21 milliards de dollars. En outre, parallèlement à la restitution de la somme versée à la France, Aristide évoquait les réparations qu’Haïti pourrait exiger pour 150 années d’esclavage. Même si le gouvernement Raffarin s’efforçait d’enterrer la loi Taubira en ne prenant pas le décret qui permettait de l’appliquer, l’esclavage était désormais un crime imprescriptible contre l’humanité. Une réparation demandée par un Etat souverain victime de ce crime pouvait prospérer devant un tribunal international. En cas de condamnation, d’autres Etats, en Afrique, pouvaient exercer des poursuites et réclamer des réparations. On pouvait même imaginer que des descendants d’esclaves français en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane et à La Réunion demandent eux aussi des réparations. Après tout, au moment de l’abolition de l’esclavage en 1848, des réparations avaient bien été payées par l’État aux colons (entre 400 et 500 francs or, soit environ 4000 euros par esclave perdu) tandis que les esclaves ne recevaient, eux, aucune indemnité, la liberté « accordée » (mais qui appartient évidemment de manière inaliénable à chaque être humain) étant spécieusement considérée comme un bienfait qui dispensait l’État d’avoir à payer quoi que ce soit. Bref, le cauchemar, c’était que recommence d’une autre manière ce à quoi les ex-pays esclavagistes avaient échappé à Durban en septembre 2001.

Le dossier de la dette avait été confié par le gouvernement de Port-au-Prince au ministre chargé des Haïtiens résidant à l’extérieur, Leslie Voltaire. Il réunit une commission internationale d’experts. J’acceptai très volontiers d’y participer. Ma position était très simple. La France avait manifestement une dette à l’égard d’Haïti au regard de l’indemnité de 1825. Trois questions se posaient cependant. D’abord celle du montant de cette dette. Le chiffre retenu par le gouvernement haïtien méritait d’être examiné. Ensuite la légalité de la demande : était-elle recevable en justice ? Ne valait-il pas mieux un accord amiable ? Enfin la manière dont la France pouvait rembourser cette dette, si elle la reconnaissait. De mon point de vue, il y avait plusieurs solutions. Paris pouvait cautionner des emprunts. Une aide en nature était également possible : par exemple un renforcement de la coopération. Les intérêts de la France n’en auraient pas été lésés pour autant car des entreprises françaises pouvaient parfaitement profiter des mesures accordées dans le cadre de cette coopération renforcée. Les routes, les télécommunications, l’adduction d’eau, la collecte des ordures ménagères, la construction d’immeubles, l’infrastructure touristique : tout cela, mon pays savait le faire. Nous pouvions aider Haïti tout en y trouvant notre compte.

La mission de Régis Debray, secrètement appuyé par la sœur de Dominique de Villepin, allait absolument à l’inverse de mes vues équitables : intervenir à Port au Prince, à Paris et en Afrique pour saboter le bicentenaire de l’indépendance et tirer un trait sur Aristide. Peu importait que ce coup d’Etat fasse des milliers, voire des dizaines de milliers de morts.

Un thé au manoir des Lauriers

M’étant rendu en Haïti pour travailler avec le ministre Leslie Voltaire sur le dossier de la restitution de la dette, je pris contact avec l’ambassadeur Burkard, qui avait pris son poste depuis quelques semaines. L’antichambre de l’ambassade jouxtait le bureau du service de presse d’Eric Bosc, un diplomate qui se comportait en véritable agent du putsch qui se préparait. Son bureau était éclairé par une large baie vitrée donnant sur le couloir. Il l’avait entièrement tapissée d’articles hostiles au président Aristide et même de caricatures ouvertement racistes placées bien en évidence, de sorte que toutes les personnes qui rendaient visite à l’ambassadeur ne pouvaient manquer de les voir. Burkard se prenait maintenant très au sérieux. Comme je ne lui cachais nullement ma position favorable sinon à la restitution, du moins à la nécessité d’examiner sérieusement et objectivement le dossier, il en vint à me demander, non sans une pointe d’insolence destinée à éprouver ma patience, si finalement j’étais Français ou Haïtien. Je lui répondis très calmement que, depuis 1804, tous les Français ayant subi l’esclavage, personnellement ou par ancêtres interposés, étaient Haïtiens de droit s’ils en faisaient la demande et que, pour ma part, j’étais Haïtien de cœur, ce qui ne m’empêchait pas d’être aussi Français que lui. Peut être davantage, aurais-je pu ajouter, si j’avais voulu être méchant. En tant que Français, je considérais qu’il était de l’intérêt de mon pays d’examiner avec le plus grand intérêt ce dossier, plutôt que de refuser toute discussion.

Pour m’impressionner, Burkard me convia à prendre le thé dans sa résidence, au manoir des Lauriers, une splendide villa coloniale où il vivait gardé par des gendarmes armés jusqu’aux dents et servi par autant de domestiques « de couleur » qu’aurait pu en avoir le plus riche planteur esclavagiste de l’île au XVIIIe siècle. Burkard s’était acoquiné avec les plus opulentes familles à la peau claire de Pétionville qui vivaient dans un luxe dont on ne peut avoir idée et qui, presque toutes, étaient les plus actifs soutiens des putschistes. Chez ces gens-là, dont le fantasme secret était de fréquenter des Français pouvant attester qu’ils descendaient des pires colons de Saint-Domingue, le foie gras, le caviar et le champagne étaient monnaie courante. On donnait des fêtes splendides, protégées par des milices privées armées de M16. Ceux qu’on appelait les « mulâtres » se seraient sentis déshonorés d’avoir moins de douze domestiques. Chaque enfant avait son chauffeur et sa nounou. Mais ce qui était le plus surprenant, c’étaient les feux de cheminée, le soir, dans les villas hollywoodiennes perchées sur de fraîches collines, quand on sait qu’il n’y a pas une brindille de bois en Haïti. Pendant ce temps, ceux que la presse occidentale appelait les « chimères », une manière étrange de désigner les pauvres ayant voté pour Aristide, attendaient, dans les bidonvilles, la mise en place des réformes décidées par leur président qui tentait d’imposer aux riches « mulâtres » un salaire minimum et le paiement normal de l’impôt. Je dois préciser que, malgré le dénuement, il n’y avait aucune famine à l’époque en Haïti.

Je me rendis au manoir des Lauriers. L’ambassadeur éprouvait une jouissance non dissimulée, surtout en ma présence, à se faire servir par François-Joseph, un vieux domestique nègre auquel il imposait les gants blancs. On se serait cru dans un roman bien raciste de Margaret Mitchell. L’ambassadeur était très énervé par l’arrivée prochaine de Debray et de sa commission. Il demanda mon avis sur la manière de traiter le dossier franco-haïtien. Je lui dis qu’il me paraissait souhaitable que le président français rencontre son homologue de Port-au-Prince. Burkard répondit avec une moue de mépris que le président de la République française ne se « commettait pas avec n’importe qui ». Cette phrase était incroyable dans la bouche d’un diplomate qui aurait dû, au moins, affecter un semblant de neutralité. Elle était particulièrement comique quand on sait quels étaient les amis de Chirac et de Villepin. Elle mit en tout cas un terme à notre entretien. Sous son apparente tranquillité, Burkard était extrêmement préoccupé par le dossier sur la restitution.

Bosc était tout fier d’avoir réussi à se procurer l’argumentaire juridique développé par les Haïtiens grâce au directeur général du ministère des Haïtiens habitant à l’étranger, Gabriel Frédéric, le collaborateur du ministre Leslie Voltaire. Frédéric était pourtant un proche ami d’Aristide, qui était parfaitement informé de cette « trahison », mais ce haut-fonctionnaire haïtien avait besoin d’un visa pour que sa maîtresse puisse se rendre en France. Telle était l’ambiance à Port-au-Prince, en cette fin d’année 2003.

L’ambassadeur, suite à notre entretien, s’empressa de rédiger une dépêche pour expliquer à sa hiérarchie, c’est-à-dire à Villepin, que j’étais « à la solde » du président Aristide. On traitait ce dernier de dictateur. S’il l’avait été, sans doute aurait-il fait un mauvais parti à Frédéric et jeté les Burkard, Bosc et consorts dans le premier avion en partance pour la France.

La Commission Debray à Haïti

Lorsque la commission Debray se rendit en Haïti, nous résidions dans le même hôtel. Régis Debray et Véronique Albanel (née de Villepin), qui venait de faire son apparition dans cette commission et dont personne ne soupçonnait qu’elle était la sœur du ministre français des Affaires étrangères, avaient, eux, le privilège de loger au manoir des Lauriers, chez l’ambassadeur Burkard. On se demande bien pourquoi. C’était surréaliste de voir des gens comme Chotard, Dorigny ou Dahomay comploter toute la journée au bar de l’hôtel et préparer tranquillement un coup d’Etat en vidant des bières. Ce qui était pathétique, c’était quand ils trépignaient d’impatience, en attendant le fonctionnaire du Quai d’Orsay chargé de régler leurs consommations. Ils n’auraient jamais laissé aux Haïtiens un seul centime qui ne vienne du contribuable français.

Les employés de l’hôtel connaissaient mes positions. Comme ce n’étaient pour les membres de la commission Debray que des êtres stupides, de simples choses qui apportaient à boire, les putschistes ne se gênaient pas pour parler devant eux. Ils avaient tort. Plusieurs fois, les barmen vinrent m’avertir que j’étais l’objet favori des conversations de la commission, que ses membres ne cherchaient qu’à me nuire et que j’avais intérêt à être extrêmement prudent, car ils étaient, selon eux, capables du pire. Je pensais que lors des révoltes d’esclaves, et en particulier en 1802, les nègres de case, dont les esclavagistes ne se méfiaient pas, avaient dû plus d’une fois avertir les abolitionnistes de ce qu’on préparait contre eux. Cette marque de confiance de compagnons que je ne soupçonnais pas est l’un des souvenirs les plus forts de cette période.

J’eus l’occasion de croiser Debray à l’aéroport et de constater qu’il s’était mis dans une tenue qu’il croyait de circonstance : pataugas et battle dress. À le voir ainsi attifé, il ne faisait aucun doute qu’il préparait un coup d’État et ne s’en cachait même plus. Il allait et venait : sur le plateau central, et sans doute en République dominicaine, où une troupe armée d’assassins commandée, en apparence, par Guy Philippe, se préparait à venir semer la terreur. J’adressai, par principe, un mail d’indignation à Valérie Terranova, la conseillère de Chirac, qui était probablement à l’origine de l’envoi du guérilléro bavard en Haïti : « Je suis extrêmement surpris, après les conversations que nous avons eues, de voir un Régis Debray, ici, en battle dress, en train de préparer un coup d’Etat ! Il est impossible que vous ne soyez pas au courant. En tout cas, maintenant, vous l’êtes et si vous ne réagissez pas, je saurai à quoi m’en tenir. » Cette pauvre fille, aujourd’hui employée à la fondation Chirac (machine de guerre supplétive pour porter Villepin à la Présidence), me répondit d’une manière qui ne laissait aucun doute sur son implication et transmit naturellement copie de mon mail à Debray.

Pour comprendre qui elle était et ce qu’elle faisait à l’Élysée, il suffit de dire que lorsque je lui parlai de l’utilité pour la France d’élever une statue à la mémoire du général Dumas, elle me dit qu’il lui suffisait d’en parler à Bongo et qu’il paierait cash. Bongo devait payer beaucoup de choses. C’est comme cela que fonctionnait la France de Chirac et de Villepin : Bongo payait cash.

Le lendemain, le guérilléro bavard apparut à l’hôtel où se trouvaient les quartiers de ses troupes, flanqué de quatre gendarmes, qui ne le quittaient pas d’une semelle. Le roquet, prévenu par la Terranova que j’y voyais clair dans son jeu, se mit à aboyer dans le couloir avec une férocité inouïe. Je lui jetai avec mépris qu’on n’était pas en Afrique, encore moins en Bolivie. J’appuyai sur le mot Bolivie en le regardant droit dans les yeux. J’ajoutai qu’il ne serait pas toujours entouré de gendarmes lorsqu’il me croiserait, et que l’avenir pouvait durer longtemps. Il doit s’en souvenir, car depuis, lorsqu’il m’aperçoit, il baisse prudemment les yeux et rase les murs, quand il ne change pas carrément de trottoir. Pour bien comprendre l’ambiance de cette fin d’année 2003 à Port-au-Prince, il faut savoir que le président Aristide laissait les nombreuses radios privées et les journaux se déchaîner contre lui. Les membres de la commission Debray ne se gênaient pas pour aller épancher leur négrophobie maladive au micro de ces stations financées par la classe dirigeante haïtienne, claire de peau et raciste au dernier degré. La presse jouissait d’une liberté dont n’a même pas idée dans les prétendues démocraties occidentales.

L’ambassadeur Burkard devait rencontrer le ministre Voltaire et son homologue des Affaires étrangères, qui me convièrent à cette réunion. Étant citoyen français, j’informai l’ambassadeur de ma présence en qualité d’expert pour la question de la restitution. Burkard en profita pour se faire accompagner par la commission Debray au grand complet, ce qui n’était pas du tout prévu. Au grand complet ou presque, car on demanda ce jour là au « nègre de service », Dahomay, de ne pas venir. Il fut excusé sous le prétexte qu’il avait mal au ventre.

La rencontre est une scène qui mérite d’être contée. Elle se passait dans le bureau du ministre des Affaires étrangères d’Haïti. Ce ministre était là, avec son homologue Leslie Voltaire, ministre des Haïtiens de l’étranger, chargé du dossier de la restitution. Assistaient à la réunion Ira Kurzban, avocat du gouvernement de Port-au-Prince, Francis Saint-Hubert, brillant économiste haïtien, ainsi qu’un conseiller martiniquais de Leslie Voltaire. Ce conseiller était un ami de Césaire. La commission Debray entra dans le bureau à la queue-leu-leu et s’assit, à l’invitation du ministre, de l’autre côté de la grande table où nous étions déjà installés.

Curieusement, deux « membres » de cette commission restaient debout. Le ministre les invita à prendre place, eux aussi, mais ils n’en firent rien. Examinant les lieux avec suspicion, ils allèrent se poster devant les deux issues du bureau, la main sur la poitrine. Tout devenait clair : ces deux messieurs en costume cravate, comme les autres, étaient en fait des gendarmes français en civil chargés de protéger les « blancs » contre les « nègres », forcément dangereux, que nous étions (à l’exception de Kurzban). La main sur le 357 magnum qu’ils dissimulaient sous leur veste, les pandores avaient reçu l’ordre de tirer sur nous —deux compatriotes, deux ministres haïtiens et un avocat états-unien— au moindre geste qui leur paraîtrait suspect.

Cette scène doit paraître romancée. Elle s’est pourtant déroulée telle que je la raconte et personne, à commencer par Debray, n’oserait me démentir. J’y repense souvent. C’était pour moi une bien cruelle humiliation que de voir des compatriotes se comporter ainsi dans une petite démocratie qui ne demandait qu’à entretenir des relations normales avec l’ancien pays colonisateur et esclavagiste. Il était bien déchirant de se sentir encore Français dans ces circonstances. Comme c’était néanmoins le cas pour moi, des larmes de honte me montèrent aux yeux, et j’avoue que je n’y repense pas sans émotion, plus de six ans après. Je ne souhaite à personne d’avoir honte de son pays comme j’ai eu honte du mien, dans ce bureau que les ventilateurs n’arrivaient pas à rafraîchir, à 8 000 kilomètres de Paris.

Imagine-t-on une commission nommée par le ministre des Affaires étrangères de la République d’Haïti se rendant à Paris pour une réunion dans le bureau du ministre des Affaires étrangères français, avec deux gardes armés qui se posteraient devant la porte du bureau de Bernard Kouchner, la main sur le revolver ? Si la commission Debray était capable de se comporter ainsi en public, peut on imaginer ce qui pouvait se passer à l’abri des regards gênants ? Je m’efforçai de prendre de la distance et de rechercher ce qu’il pouvait y avoir de cocasse dans ces circonstances. D’un côté de la table, Ribbe, normalien « noir » comme dirait Finkielkraut, agrégé de philosophie, de l’autre côté de la table, Burkard, normalien « blanc », agrégé des Lettres, et Debray, normalien « blanc » également agrégé de philosophie. Les deux normaliens « blancs » avaient des fonctions officielles. Le normalien « noir », lui, défendait une petite démocratie et, au fond, l’honneur de la France. Car la France, heureusement, celle de la Déclaration des droits de l’homme, n’était pas du côté de la commission Debray, ce jour là.

Debray prit la parole et demanda avec arrogance, en nous désignant, Me Kurzban et moi, qui nous étions et ce que nous faisions dans ce bureau. Le ministre lui répondit avec un sourire que nous étions membres de la commission élargie chargée d’examiner la restitution de la dette de la France et que nous étions là en tant qu’experts. Il ajouta que M. Debray me connaissait, sans doute. Debray aboya : « Du moment qu’il n’est pas là pour raconter n’importe quoi ! » Véronique de Villepin, qui se cachait sous son nom d’épouse, Albanel, était à côté de Debray, avec l’air pincé d’une femme de colon qui serait obligé d’accompagner son mari au marché aux esclaves et de supporter les mauvaises odeurs. L’ambassadeur se tenait coi, avec l’air aussi franc que celui d’un âne qui recule. Marcel Dorigny, le bon communiste ami des noirs, faisait partie de la bande. Il baissait les yeux quand son regard croisait le mien.

Sans répondre aux sottises du guérilléro bavard, j’interpellai la sœur du ministre :

— Tiens, quelle surprise ! Je crois que nous nous connaissons
— Oh, cela m’étonnerait ! répliqua la pimbêche avec mépris.
— Mais, si, faites travailler votre mémoire. Vous ne voyez pas ?

Véronique de Villepin commença à se troubler. Debray la regardait avec inquiétude. Les deux gardes du corps ne comprenaient plus rien : on leur avait dit qu’il y aurait des nègres très dangereux, des « chimères » sur lesquels il ne faudrait pas hésiter à faire feu et voici que l’un d’entre eux, au lieu de tirer sa machette de dessous la table, s’exprimait calmement, en bon français, avec des mots qu’ils n’auraient jamais imaginés si bien prononcés dans la bouche d’un sauvage.

Après avoir laissé passer un instant, je lançai :

_ Vous êtes bien Véronique Galouzeau de Villepin ?
— Oui, pourquoi ? fit-elle en rougissant jusqu’aux oreilles.

La nouvelle Pauline Bonaparte était publiquement démasquée. Les deux ministres étaient hilares.

— Je me souviens de vous, ajoutai-je, parce que nous étions condisciples à Sciences po.

C’était vrai. J’avais fréquenté, en même temps que l’Ecole normale, cette institution, (pour voir, car je n’avais que peu de goût pour les compromis et la vie ennuyeuse qu’imposait, selon moi, une carrière dans la haute administration). Je me souvenais très bien de cette péronnelle qui préparait l’ENA, et dont le frère, à l’époque, ne s’était évidemment pas encore fait remarquer en devenant le « Fouché » de Chirac, l’homme du « cabinet noir ».

— Quelle mémoire ! glapit-elle. Ou alors, vous avez pris vos renseignements.
— Non, je n’ai pas l’habitude, comme vous sans doute, de « prendre mes renseignements » sur les gens. Mais il y a simplement quelque chose qui m’a marqué chez vous et que vingt cinq années n’ont pas effacé.
— Ah oui, et quoi donc ?
— Votre amabilité et votre sourire.

Véronique de Villepin, qui ne s’attendait guère à cette sortie de ma part, se retrancha dans un mutisme complet. Debray, pour la sauver du ridicule, prit la parole d’une voix qui se voulait menaçante :

— Je suis ici au nom du président de la République française, éructa-t-il sous sa moustache. Je commence par vous avertir d’une chose. Que ce soit bien clair : même si ce président était mon ami Alain Krivine, vous n’auriez pas un sou de la France, vous entendez ? Pas un sou ! Jamais ! Jamais !

Ce qui était étrange, c’était que la question de la restitution de la somme extorquée aux Haïtiens par la France en 1825 avait été explicitement exclue de la mission de Régis Debray. Le Quai d’Orsay l’avait bien précisé dans un communiqué. On pouvait donc tout imaginer de la réalité de cette mission. Debray venait de prouver, en tout cas, deux choses :
1) Il avait l’aval de Chirac.
2) C’était vrai qu’il parlait trop.

Les Haïtiens ne l’appelaient plus que « Le Konzé ». Konzé, c’était le patronyme honni du compagnon du résistant Charlemagne Péralte qui, pendant l’occupation états-unienne, avait vendu son ami aux Yankees. Péralte avait été sommairement exécuté et cloué sur une porte pour servir d’exemple. Tous les Konzé d’Haïti avaient, depuis, changé de nom.

L’ultimatum de Debray à Aristide

Le coup d’État initial avait été prévu avant que les cérémonies du Bicentenaire n’aient lieu, c’est à dire avant le 1er janvier 2004. Pour la France, qui redoutait par dessus tout ce bicentenaire, c’était la meilleure solution. Régis Debray voyait un par un les responsables des pays africains contrôlés par la France, probablement pour les menacer s’ils participaient au bicentenaire d’Haïti. Lorsqu’il m’avait reçu chez lui à Paris, il ne s’en était pas caché. Il s’était même étonné de la position inflexible de la ministre des Affaires étrangères d’Afrique du Sud, favorable aux Haïtiens. « C’est étrange. Ce que vous me dites me rappelle ce que m’a dit la ministre dans son mauvais anglais » lançait-il avec mépris.

On se souvient que Régis Debray, lui, dès l’époque de son équipée bolivienne, parlait très bien l‘anglais.

Alors que j’étais en transit le 11 décembre 2003 à l’aéroport de Pointe-à-Pitre, pour prendre l’avion de Port-au-Prince, un ami haïtien m’avait présenté le chef d’escale d’Air France à Port-au-Prince. Ce chef d’escale ressemblait à tout sauf à un chef d’escale. Il était accompagné d’une jeune femme, originaire d’un ancien pays communiste, qu’il nous présenta comme sa compagne et dont on pourrait dire sans médisance qu’elle n’avait pas très bon genre. Le hâbleur se félicitait d’avoir obtenu la naturalisation de la fille. Il ne nous dit pas comment, mais on sentait qu’il en avait très envie. Mon ami faisait un simple aller-retour et devait repartir de Port-au-Prince le 15 décembre. Le chef d’escale l’informa, très sûr de lui, qu’il n’y aurait pas de vols ce jour-là. Je lui demandai de répéter. Il me répéta en souriant, et d’un air entendu : « Non, le 15 décembre, il n’y aura pas de vols à Port-au-Prince ! Aucun vol ! »

Effectivement, le 15 décembre fut assez mouvementé. Andy Apaid, chef de l’« opposition » au président Aristide, organisa des manifestations sporadiques où de pauvres hères, pour quelques malheureux dollars, brûlaient trois pneus de voiture, à la plus grande satisfaction des journalistes français qu’Eric Bosc, de l’ambassade de France, appelait pour aller photographier le « chaos » qui s’instaurait, jour après jour, dans ce pays maudit gouverné par un « assassin », un « trafiquant de drogue » un « psychopathe pervers ». Telles étaient les épithètes dont la presse française gratifiait le premier président démocratiquement élu d’Haïti. Un journaliste se lâcha même au point d’écrire dans Le Figaro : « L’échec d’Haïti démontre l’inaptitude des peuples noirs à se gouverner eux-mêmes. » Personne ne releva. Je reçus une volée de mails d’un écrivain haïtien vivant à Paris et qui m’avait oublié, par mégarde, dans son listing. Ce nouveau Camille Desmoulins exhortait les intellectuels haïtiens à descendre dans la rue le jour même pour renverser le « tyran sanguinaire ».

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L’ex dictateur Jean-Claude Duvallier, que ERégis Debray voulait réinstaller au pouvoir en Haïti.

En même temps, Jean-Claude Duvalier, dans un luxueux hôtel parisien, donnait une interview à la presse états-unienne pour faire savoir qu’Aristide était le pire dictateur qu’Haïti ait jamais connu. Oui, je n’invente rien, c’était le chef des tontons macoutes qui disait cela. La journaliste états-unienne, un peu gênée, évoqua (très discrètement) le passé. Là, Bébé Doc répondit superbement : « Je ne dis pas que je n’ai pas commis quelques erreurs… » Si Duvalier montait ainsi au créneau, c’était bien entendu qu’il y avait été autorisé par ses hôtes, c’est-à-dire par M. de Villepin dont je serais bien étonné qu’il n’ait jamais rencontré l’ex-chef des « volontaires de la sécurité nationale » qui se réclamait désormais de l’opposition et lançait cet étrange appel depuis Paris. Certains esprits malades soutenaient, au Quai d’Orsay, que le retour de Duvalier était la meilleure solution. naturellement, ils disaient cela spontanément, sans que Duvalier les y ait « incités » d’une manière ou d’une autre...

Au même moment, le 15 décembre 2003 à 15 heures locales, Régis Debray se présenta au palais national de Port-au-Prince avec Véronique de Villepin-Albanel. Ils insistèrent pour être reçus et firent savoir qu’ils avaient un message urgent pour le président, de la part du gouvernement français. C’est le docteur Maryse Narcisse, conseillère d’Aristide, qui les reçut tout d’abord. Ils insistèrent avec beaucoup d’insolence pour voir Jean-Bertrand Aristide. Elle en informa le président qui se résolut finalement à les rencontrer, en présence de Mme Narcisse. Debray et son amie demandèrent que la conseillère sorte. Le président s’en étonna. Mais ils voulaient lui parler sans témoins. Il céda. Là, on changea de ton.

On était très loin de ce « moment fraternité » sur lequel le bon apôtre Debray est aujourd’hui intarissable lors des conférences qu’il donne chez les francs-maçons pour mieux vendre ses livres. Là, le style était plus direct. La dame patronnesse de Sciences po se fit un plaisir de régurgiter les menaces de son frère. L’ex guérilléro, l’œil injecté de sang, en rajouta. Dehors le nègre ! La démission ou la vie ! C’est le maître blanc qui te le dit : Dégage, et plus vite que ça ! Ôte toi de là qu’on s’y mette ! Tel était à peu près le message de Paris. Le message de Dominique de Villepin, l’homme qui nous expliquait naguère que la France est une coquine dont le fantasme serait que des vauriens de son genre la prennent de force, à la hussarde. Joli programme !

Les émissaires dirent en substance au président Aristide, au nom de la France, que s’il ne démissionnait pas immédiatement, « on » allait l’assassiner. Ils ne pouvaient pas avoir une information pareille sans connaître les assassins. « Avez-vous donc une vocation de martyr ? » hurlait la pieuse épouse du général Albanel. Si Régis Debray a admis s’être rendu au Palais national ce jour là et avoir rencontré le président, il a toujours nié avoir été accompagné de Véronique de Villepin. Mais Debray n’est plus à un mensonge près. Ce mensonge-là, particulièrement grossier, ne fait que révéler que le guérilléro bavard souhaitait protéger Véronique de Villepin. On peut se demander pourquoi. Malheureusement pour Debray, il y a des témoins. Les employés du Palais national qui les virent arriver tous deux, le docteur Narcisse qui m’a raconté la scène, le président Aristide lui-même qui me l’a confirmée dans une interview filmée en janvier 2005 [7]. Mais il y a mieux. L’ambassadeur de France, Thierry Burkard, pour se couvrir, rédigea un télégramme diplomatique faisant état de cette visite et des menaces proférées par Véronique de Villepin et Debray. Il le fit même assez largement circuler pour qu’un journaliste du Monde, M. Paolo Paranagua, y fasse clairement allusion dans un article qui fit trembler Villepin.

Au printemps de 2004, après le coup d’Etat, alors que le chef d’escale d’Air France trop bavard rentrait chez lui, à Port-au-Prince, deux hommes à moto s’approchèrent et lui logèrent une balle en pleine tête. Personne ne s’est jamais étonné de cet assassinat, aussitôt mis sur le compte de l’« insécurité » ambiante.

Le bicentenaire d’Haïti et le coup d’Etat

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Logo du bicentenaire d’Haïti.

La France et les USA n’avaient pas ménagé leurs efforts pour que le bicentenaire de la création de l’Etat d’Haïti ne soit pas commémoré, le 1er janvier 2004. Il fallait à tout prix séparer Haïti des Africains, de peur que la petite république caraïbe ne devienne un jour l’axe de la renaissance africaine. Régis Debray, Dominique de Villepin et Édouard Glissant, profitant de son grand âge, étaient allés faire pression sur Aimé Césaire pour qu’il refuse d’assister à la cérémonie, et qu’il donne, de ce fait, sa bénédiction au coup d’État qui était programmé. On lui avait dit qu’Aristide était un dictateur et il le crut. L’Afrique du Sud ne se laissa pas influencer par ces mensonges. Un porte-hélicoptères apparut dans la baie de Port-au-Prince une dizaine de jours avant les célébrations. Ce n’est pas sans émotion que j’ai vu arriver les gros hélicoptères envoyés par Thabo Mbeki et qui ronronnaient au-dessus de la ville comme pour montrer que l’Afrique était venue au secours des descendants de ceux qui avaient été arrachés à leur terre par de monstrueux prédateurs. C’était un jour de deuil pour Régis Debray et ses amis. Les Sud-Africains avaient expédié une équipe pour organiser l’intendance de la cérémonie. Ce sont eux qui établirent les laisser-passer et organisèrent le système de captation du spectacle qui fut monté à la hâte. J’écrivis un petit texte de théâtre pour être joué ce soir là.

Le 1er janvier 2004, les cérémonies commencèrent le matin, en présence de Thabo Mbeki, du premier ministre de la Jamaïque, de Maxine Waters, députée de Californie représentant le Black Caucus, de Danny Glover, de Randall Robinson, et surtout de plus de cent mille Haïtiens qui agitaient des drapeaux en chantant l’hymne national. Ils étaient si nombreux qu’ils s’étaient juchés sur les grilles entourant le jardin du palais national. Elles plièrent soudain sous le poids de la foule ainsi agglutinée et les plus humbles purent se mêler aux invités officiels. Une courte cérémonie devait avoir lieu aux Gonaïves. Quant on sait que l’organisateur en était Gabriel Frédéric, celui-là même qui avait remis à l’ambassadeur Burkard, le 9 novembre, copie du dossier juridique sur la restitution de la dette de la France, on se doute qu’elle fut sabotée et avec l’aide de qui. Il y eut quelques tirs d’armes automatiques en direction du président Aristide et de Thabo Mbeki qui, heureusement, ne furent pas atteints. Le soir, un spectacle fut présenté au Palais national. Les violons de l’orchestre amateur Sainte-Trinité et le ballet national de Cuba furent mis à contribution. Le texte que j’avais écrit, Le rêve de Mandela, fut joué par Danny Glover et Jean-Michel Martial. J’étais à peu près le seul Français parmi les invités d’honneur en ce jour historique où l’ambassadeur Burkard grimaçait plus encore que de coutume. Christiane Taubira était très attendue, mais elle ne vint pas. Elle expliquera sans doute un jour pourquoi. Aucun de ceux qui, en France, ont fait depuis de l’esclavage leurs fonds de commerce n’étaient là. Aucun journaliste de la presse occidentale ne rendit compte de l’événement qui, officiellement, n’a jamais existé ; pas plus que la bataille de Vertières qui entraîna la capitulation française , le 18 novembre 1803.

Je quittai Port-au-Prince quelques jours après la cérémonie, non sans être allé saluer le président. Il pensait que ces événements seraient niés un jour et qu’il faudrait témoigner de ce qui s’était réellement passé. Après mon départ, Burkard, Villepin frère et soeur, Debray et tous les autres continuèrent leur travail de sape, en liaison constante avec les Etats-uniens. De prétendus rebelles, commandés par un assassin notoire, entrèrent dans le pays pour faire diversion dans le nord. Une délégation fut envoyée à Paris par le président pour rencontrer Villepin et demander l’aide de la France contre ces mercenaires afin de sauver la démocratie haïtienne. Elle était composée du ministre des Affaires étrangères, de la ministre de la Culture et du directeur de cabinet du président Aristide. J’eus l’occasion de les voir tous trois avant leur rencontre avec Villepin, qui eut lieu dans l’après-midi du vendredi 27 février 2004. Villepin les reçut entre deux portes et leur fit comprendre que le sort du président Aristide était scellé. Il avoua en avoir eu confirmation de son homologue Colin Powell en personne. « Il vaudrait mieux qu’il démissionne. C’est toujours mieux que d’être obligé de monter dans un hélicoptère, la nuit, au fond d’un jardin. » Villepin était donc parfaitement informé, au moins dès le 27 février, de l’enlèvement, en fait activement préparé par la France et les USA depuis plusieurs mois. Trois témoins peuvent l’attester.

Dans la nuit du 28 au 29 février 2004, après une dernière réunion entre l’ambassadeur des USA, Foley, et son homologue français, Burkard, des troupes US (et probablement françaises aussi) pénétrèrent secrètement en Haïti. Au milieu de la nuit, Luis Moreno, chef de la CIA à Port-au-Prince, se présenta au domicile privé du président avec une vingtaine d’hommes des forces spéciales [8]. Plusieurs dizaines de soldats, équipés d’armes à visée laser et de systèmes de vision de nuit, investirent la propriété. Les Etats-uniens obligèrent le président Aristide et sa femme à monter dans une voiture qui se dirigea vers l’aéroport. Ils n’avaient pas le choix, leurs deux filles se trouvant chez leurs grands-parents, aux USA, et servant d’otages. Un grand avion blanc attendait sur le tarmac. Il ne portait aucune marque d’immatriculation, sauf un drapeau US peint sur la queue. Moreno obligea le couple à monter. L’avion décolla immédiatement pour se poser à Antigua. Aristide restait très digne. Sa femme pleurait en silence. Ils n’avaient pas de vêtements pour se changer et se doutaient que leur maison était déjà livrée au pillage. Peut-être allaient-ils mourir sans revoir leurs enfants. L’avion resta cinq heures stationné à Antigua. On refusa aux passagers de dire où ils se trouvaient ni ce qu’on allait faire d’eux. L’avion redécolla et traversa l’Atlantique.

Dominique de Villepin avait négocié avec Bongo pour que ce dernier serve d’intermédiaire auprès de François Bozizé, lequel venait de faire, avec l’aide de la France, un coup d’Etat en Centrafrique. Les Etats-uniens avaient reçu l’assurance qu’Aristide serait mis en détention dans une « prison militaire française ». Cette prison militaire française était en fait le palais du « président » Bozizé, effectivement contrôlé par un important détachement français. L’« ami » qui m’avait fait rencontrer Mme Rossillon était aussi (le monde étant petit) un ami de Bozizé. Apprenant par la presse l’arrivée d’Aristide en Centrafrique, je suppliai cet « ami » de me mettre en contact avec le dictateur de Bangui. Je n’obtins qu’un numéro de télécopie qui me permit de faxer une lettre pour que Bozizé m’autorise à joindre Aristide.

Après plusieurs jours d’efforts, je parvins à parler au lieutenant François, qui était le geôlier du président et finis par le convaincre de m’autoriser à lui parler. Aristide ne me dit que ces mots : « C’est le Fort de Joux numéro 2 ! » C’était assez clair, puisque le Fort de Joux était le lieu où les Français, après l’avoir enlevé, avaient mis en détention et exécuté Toussaint Louverture (officiellement mort de froid et de tristesse). Cette formule était un appel au secours. Je lui demandai s’il pouvait parler aux journalistes. Cela lui était impossible. Je donnai au président un rendez-vous téléphonique à 17 heures. Je me trouvais cette fois dans les studios de la radio RTL, dont il convient de saluer l’indépendance, et cette conversation fut enregistrée. Le président Aristide déclarait avoir été enlevé avec la complicité de Dominique de Villepin, de sa sœur, Véronique de Villepin-Albanel, de Régis Debray et de l’ambassadeur Thierry Burlkard. La conversation que j’avais eue avec le président Aristide fut diffusée le lendemain matin, sans aucune censure, au journal de sept heures. Le soir, je récidivais, mais sur TF1 cette fois, grâce à l’amicale complicité de Patrick Poivre d’Arvor, que je dois lui aussi remercier pour son courage, puisqu’il réussit, non sans mal, on peut l’imaginer, à imposer le sujet au journal de 20 heures.

Une troisième rencontre fut organisée par mon entremise, chez Marc-Olivier Fogiel cette fois. Fogiel avait tenu à faire lui-même l’interview. Elle serait diffusée sur le plateau de France 3 en ma présence. Je fis confirmer ces dispositions par écrit. J’établis le contact et Fogiel fit son interview. Ses collaborateurs avaient préparé des questions du genre : « M. Aristide, vous êtes un dictateur, un trafiquant de drogue et un assassin, et vous avez pris la fuite pour échapper à la fureur du peuple que vous avez trahi, n’est-ce pas ? » Aristide répondit à Fogiel d’une manière si convaincante et avec un tel calme qu’il devenait évident qu’il avait été calomnié et enlevé. L’interview du président Aristide et ma présence étaient annoncées dans toute la presse pour l’émission en direct du dimanche soir. On avait prévu un taxi pour que je m’y rende. Une heure avant le rendez-vous fixé, le journaliste qui avait monté le sujet m’appela pour me dire que la diffusion et l’entretien exclusif avec le président, de même que ma présence sur le plateau, étaient « déprogrammés ». C’était un stagiaire qui avait encore des illusions. Il était écoeuré par ce qu’il appelait lui-même une censure, ayant travaillé tout le week-end. Je ne reçus jamais d’explication de Fogiel, mais j’imagine que Villepin s’était opposé à cette diffusion en intervenant directement auprès de Marc Tessier, à l’époque président de France Télévisions.

Néanmoins, en partie grâce aux interviews diffusées sur RTL et TF1, et qui firent beaucoup de bruit, Bozizé fut obligé de laisser Aristide repartir lorsqu’un avion affrété par les amis démocrates du président (et où se trouvaient notamment Maxine Waters et Randall Robinson) se rendit, quelques jours plus tard, à Bangui. Au grand dam des Etats-uniens et des Français, Aristide put repartir en Jamaïque et y retrouver ses deux filles. Je devais apprendre plus tard qu’il avait été prévu que le président, comme je le pressentais, et comme il le pressentait sûrement lui-même, trouve la mort dans sa prison de Bangui. Il m’est impossible d’affirmer que Villepin était impliqué dans la préparation de cet assassinat, mais, dans la mesure où j’ai pu avoir la confirmation et la preuve irréfutable qu’il était bel et bien programmé, j’imagine qu’il n’était pas difficile au ministre des Affaires étrangères d’être au moins informé de ce qui allait se passer.

Plusieurs semaines plus tard, je reçus un appel téléphonique de Jamaïque. C’était Aristide. Il me dit qu’un « grand oiseau » viendrait le prendre le soir même et qu’il allait retourner dans le pays originel sous la protection de l’homme que j’avais rencontré pour le bicentenaire. Cela voulait dire que Thabo Mbeki lui envoyait un avion à destination de Prétoria [9]. A la faveur de ces évènements, Aristide et moi nous liâmes d’amitié. Depuis six ans, il vit à Prétoria, sous la protection des Etats africains et de la Caricom (c’est à dire de tous les états nègres de la planète, ceux qu’on ne désigne jamais comme faisant partie de la « communauté internationale ») avec, comme seul revenu, le salaire qui lui est versé pour les cours qu’il donne à l’université d’Afrique du sud. Je n’ai pu m’offrir qu’une fois le voyage pour aller le voir. J’en ai profité pour l’interviewer. Il ne s’est jamais écoulé un mois sans que nous nous téléphonions. Notre dernier entretien, c’était il y a trois jours. Aristide a tout enduré, ne s’est jamais plaint, n’a jamais plié.

Une fois le président Aristide renversé, Villepin et Bush, violant impunément la constitution du pays, mirent en place une nouvelle dictature sous l’égide d’un Etats-unien, Gérard Latortue, une crapule nommée par les anciens pays esclavagistes « Premier ministre de transition ». La première mesure de Latortue fut d’annuler la demande faite à la France de restitution des 21 milliards de dollars extorqués à partir de 1825. Deux ans plus tard, les partisans d’Aristide élisaient René Préval à la présidence, dans l’espoir qu’il permette à Aristide de rentrer dans son pays. Le jour de cette élection, j’étais dans le bureau du ministre français du Tourisme, Léon Bertrand. Il fut très étonné que je lui donne le nom nu président qui allait être élu, car ce n’était pas le candidat de la France. Aujourd’hui, Léon Bertrand, ami intime de Chirac est en prison pour corruption. Ainsi va le monde.

René Préval, depuis quatre ans, n’a pas pu, n’a pas voulu ou n’a pas osé faire rentrer son ex-ami. Les Haïtiens n’ont jamais cessé de manifester pour le retour de leur président, honteusement enlevé par les Etats-Unis et la France. Un jour peut être, qui n’est pas forcément éloigné, un nouvel « oiseau » venu d’Afrique reconduira dans son pays celui qui n’aurait jamais du le quitter. Dans cet avion, le président Aristide sera accompagné de quelques amis états-unien : Danny Glover, Randall Robinson, Maxine Waters. Il y aura sûrement un Français aussi dans cet avion. Il se pourrait bien que ce soit moi.

Régis Debray a écrit un livre sur la « fraternité ». Il s’apprête certainement à faire campagne pour l’élection de Villepin en 2012 avec l’espoir d’être nommé ministre de la Culture. Quand il marche dans la rue, il n’y a plus de gendarmes pour l’escorter. Je ne lui ai jamais administré la paire de gifles qu’il mériterait certainement de recevoir. Je préfère le laisser avec sa conscience et le souvenir des milliers de morts, des dizaines de milliers peut-être, qui suivirent le coup d’État donc il fut l’artisan. Sous le régime de Latortue, on enfermait les partisans d’Aristide dans des containers qu’on aller jeter ensuite dans la mer. Véronique de Villepin-Albanel continue d’animer l’aumônerie de Sciences po. Elle ne s’est jamais exprimée sur ces événements, mais comme c’est, paraît-il, une bonne chrétienne, je suppose qu’elle me pardonnera d’avoir dit la vérité et qu’elle priera pour le salut de mon âme. Villepin, devenu ministre de l’Intérieur, puis Premier ministre, envoya l’année même du bicentenaire, un corps expéditionnaire de 1 000 soldats français. On n’avait pas vu de soldats français en Haïti depuis la capitulation de 1803. Les soldats de Villepin firent sécher leurs slips, non pas sur la ligne Siegfried, mais sur les grilles du palais présidentiel. Ils baptisèrent l’opération « Rochambeau », du nom du général qui se servit de chiens dressés pour dévorer les nègres et qui entreprit l’extermination de tous les Haïtiens de plus de douze ans, en les faisant gazer au soufre dans les cales des bateaux. Le jour de leur départ, Paris Match publia l’interview d’une Haïtienne prétendant qu’elle avait assisté à une « messe noire » où le président Aristide avait « probablement » sacrifié un nouveau né en le coupant en morceaux. La seule accusation qui n’ait jamais été portée contre le président d’Haïti, c’est la pédophilie. Je m’étonne qu’ils n’y aient pas pensé. Burkard a pris sa retraite avec le traitement d’ambassadeur. Il est retourné chez lui, en Alsace, là d’où il était venu, jeune homme, certainement avec des rêves plein la tête. C’est le temps qui l’a puni. Il a l’air d’un vieillard. Il se pique à présent d’écrire. Des romans policiers régionalistes. Il est venu me voir au stand au salon du livre de Paris en 2009, un peu penaud, comme pour faire la paix. J’ai brandi le livre que je signais, Le nègre vous emmerde [10]. Il a fait demi-tour. Quant à Villepin, il m’a fait appeler par son secrétariat, en septembre 2005, alors qu’il était Premier ministre, pour me nommer membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) du fait de mon engagement pour les droits de l’homme. Comme j’étais notoirement l’ami de quelqu’un qu’il a accusé de violer ces mêmes droits de l’homme, cette nomination était bien étrange. Pour exprimer ma gratitude, j’ai publié, deux mois plus tard, un livre sur Haïti : Le crime de Napoléon [11]. Je n’ai pas été renommé à la CNCDH au moment de son renouvellement. Au fait, l’aéroport de Cayenne s’appelle Rochambeau. Je m’étonne que Christiane Taubira, députée de la Guyane, n’ait jamais demandé qu’on le débaptise.

Un livre de Randall Robinson, relatant dans le détail tous ces événements, est sous presse pour être publié le 18 février 2009 sous le titre Haïti, l’insupportable souffrance [12]. J’aurai eu l’honneur de le publier et de le préfacer. Telle sera ma modeste contribution à la reconstruction d’Haïti. Je n’ai écrit que la vérité. L’histoire jugera.


[1] Régis Debray est le fils de Maître Georges Debray et de Janine Alexandre-Debray. Celle-ci fut vice-présidente du Conseil municipal de Paris (1947-67) et sénatrice de Paris (1976-77).

[2] No disparen— soy el Che, par Arnaldo Saucedo Parada. 1980.

[3] Régis Debray avait été exclu des Jeunesses communistes pour son appartenance supposée aux services secrets français, indique Le Monde du 1er mars 1968. ll se rend à Cuba au titre de coopération, puis aurait rejoint la Bolivie à la demande de l’éditeur François Maspéro pour réaliser un reportage sur Ernesto Che Guevara. Simultanément, le président De Gaulle nomme un ami des Debray, son fidèle garde du corps Dominique Ponchardier (le célèbre "Gorille"), ambassadeur en Bolivie. Après avoir établi le contact avec Che Guevara, Debray souhaite retourner en France, mais le Che le lui interdit afin de conserver le secret de sa présence en Bolivie. En définitive Debray est arrêté par les militaire boliviens et la CIA, le 17 mars 1967. Un mois plus tard, De Gaulle écrit au président Barrientos pour que sa vie soit épargnée. Des personnalités de gauche et de droite se mobilisent en France et aux Etats-Unis pour appeler à sa libération. Alain Geismar et Jean-Paul Sartre créent un Comité Debray. Les Forces spéciales boliviennes et la CIA cernent le campement de Che Guevara le 8 octobre 1967, le capturent et le tuent. Régis Debray est amnistié par le nouveau président Juan José Torres et libéré la veille de Noël 1970.

[4] L’ordonnance de Charles X qui contraignit les Haitiens à payer leur liberté, Réseau Voltaire.

[5] L’Expédition, par Claude Ribbe (Le Rocher, 2003).

[6] « La CIA déstabilise Haïti », Réseau Voltaire, 14 janvier 2004.

[7] « Jean-Bertrand Aristide, un an après », par Claude Ribbe, Réseau Voltaire, 22 février 2005.

[8] « Coup d’État en Haïti », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 1er mars 2004.

[9] « Paris relâche le président haïtien », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 16 mars 2004.

[10] Le nègre vous emmerde, par Claude Ribbe (Buchet-Chastel, 2008).

[11] Le Crime de Napoléon, par Claude Ribbe (Privé, 2006).

[12] Haïti, l’insupportable souffrance, par Randall Robinson (Editions Alphé/Jean-Paul Bertrand, 2010).



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