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11/08/2009 à 06h51
«De l’optimisme de principe»
Selon le sociologue Paul Jorion, la situation reste préoccupante :
Par SONYA FAURE
Anthropologue et sociologue, Paul Jorion est auteur du livre la Crise (Fayard, 2008) et du blog www.pauljorion.com/blog. Selon lui, les bonnes nouvelles économiques récentes sont loin d’annoncer une éclaircie durable.
La croissance chinoise se porte bien, le président de la Fed prédit une croissance américaine de 1 % au second semestre 2009… Bientôt le retour de la croissance mondiale ?
La plupart des analyses qui expliquent que nous sortons du tunnel sont davantage fondées sur de l’optimisme de principe que sur les chiffres réels. On demande aux économistes de faire des prévisions, celles-ci sont évidemment pessimistes, à l’arrivée les chiffres sont un peu meilleurs que prévu… et on en tire la conclusion que la situation s’arrange ! Un exemple avec les chiffres de l’emploi américain : 247 000 pertes d’emplois en juillet, c’est moins que les 275 000 prévues par certains économistes et beaucoup moins que les 741 000 destructions d’emplois qu’on a connues en janvier. Mais c’est encore très loin d’être le signe d’un véritable redémarrage, qu’on pourrait déceler s’il y avait, disons, moins de 150 000 emplois perdus. Seuls deux chiffres récents me paraissent encourageants : la croissance chinoise de 7,8 % et la reprise des exportations en Allemagne. Pour le reste, quand on compare la situation actuelle aux graphiques représentant l’évolution des récessions survenues depuis la Seconde Guerre mondiale, on se trouve aujourd’hui plus bas que les points les plus bas des crises passées… Ce à quoi on assiste, c’est à une décélération de l’aggravation de la situation. On navigue entre dépression et récession. Il faut être un sacré optimiste pour considérer que les nouvelles sont bonnes.
Les bons résultats affichés par les banques américaines ou françaises font dire à beaucoup que nous avons évité «l’effondrement du système». Le risque est-il derrière nous ?
Le problème majeur, c’était l’insolvabilité des banques. Les Etats les ont aidées, en leur prêtant de l’argent et en orchestrant un assouplissement des règles comptables - ce qui a d’ailleurs réduit la transparence, puisqu’en gros, c’est la banque qui détermine maintenant la valeur de ses propres actifs. Des banques ont été éliminées, ce qui a permis à leurs concurrentes de grossir encore. Or le risque systémique avait été créé par le fait que certaines banques étaient too big to fail [«trop grosses pour faire faillite», ndlr] : l’Etat est obligé de les aider plutôt que de les laisser s’effondrer. Pourquoi ? Parce que si elles devenaient insolvables, elles contamineraient leurs créanciers, créant un effet domino. Moins de banques, mais plus grosses qu’avant : le risque systémique est encore plus sérieux qu’il ne l’était. D’autre part, les bons résultats bancaires reposent uniquement sur des gains spéculatifs : ce sont les salles de marché de Goldman Sachs ou de la BNP qui font de l’argent, sans que cela bénéficie au financement de l’économie «réelle»… Si je voulais être méchant, je dirais que c’est la portion parasitaire de l’activité des banques qui s’est refait une santé ; celle qui rend un service à la communauté est toujours dans le coma.
Selon les chiffres de juin publiés par le département américain du Commerce, les ventes de logements ont augmenté de 11 % par rapport au mois de mai, qui était, certes, bien mauvais…
Aux Etats-Unis, on entre dans la deuxième vague de la crise immobilière : après celle des subprimes qui touchait les emprunteurs les plus pauvres, ce sont désormais les classes moyennes qui en sont victimes : avec la chute des prix de l’immobilier, un tiers des emprunteurs doivent à la banque plus d’argent que ce que vaut leur maison. L’immobilier commercial commence aussi à poser un problème très sérieux : les bureaux et les centres commerciaux dépendent de la reprise de l’activité et de l’emploi… et quand ils n’arrivent pas à rembourser leur prêt, ils entraînent avec eux une multitude de petites et moyennes banques américaines qui leur ont avancé des fonds et dont l’activité est insuffisamment diversifiée pour résister.
L’emploi, justement, reste de l’avis de tous le point noir…
Dans les discours de propagande où on annonce la reprise, on dit : «Ne regardez pas trop les chiffres de l’emploi, c’est ce qui s’améliore toujours en dernier…» Cela a été le cas lors des grandes crises plus anciennes, mais ce qu’on oublie, c’est que la consommation des ménages - principal moteur de la croissance - dépendait moins qu’aujourd’hui de leur faculté à emprunter : les gens épargnaient, mais c’est parce que les salaires représentaient à cette époque une part plus importante de la croissance. En fait, des secteurs cruciaux, tels l’immobilier résidentiel ou commercial, ne pourront reprendre que si l’emploi redémarre. La reprise ne pourra pas avoir lieu cette fois tant que le chômage n’aura pas baissé.
Les marchés financiers semblent plus optimistes : le CAC 40 a dépassé les 3 500 points…
On oublie que la Bourse a la capacité de pouvoir être déconnectée de l’économie réelle : le coefficient qui relie le prix de l’action à la valeur de la compagnie peut varier selon les époques dans une fenêtre très large. Si beaucoup d’argent est disponible pour des placements en Bourse, le prix des actions des entreprises sera surévalué par rapport à leurs résultats : en période de crise, la Bourse devient plus attractive que les autres types de placements, comme l’immobilier, la dette des entreprises ou le prix des matières premières, dont le pétrole, car, dans le contexte d’une économie déprimée, la demande pour ces produits baisse automatiquement…
Mais les marchés réagissent aussi à des résultats d’entreprises meilleurs que prévu…
C’est vrai : Ford a relativement bien résisté à l’effondrement généralisé du secteur automobile américain. Certaines entreprises américaines (Intel) ou allemandes (les machines outils) ont affiché de bons résultats grâce à la demande chinoise. Et les compressions de personnel ont comme toujours amélioré la productivité et rassuré les actionnaires…
La reprise, vous la voyez quand ?
Je ne peux pas vous répondre. Quand on voit que le FMI et la Banque mondiale, des organisations jumelles, aboutissent à des conclusions différentes (1), on voit bien que les prévisions économiques ne sont pour l’instant que des spéculations… intellectuelles cette fois.
Les plans, fonds d’investissements ou primes à la casse favorisent-ils tout de même le petit mieux de l’économie ?
Tout le monde comprend qu’on ne peut pas relancer une économie sur la base de primes à la casse ! Cela ne peut produire que des effets mineurs et l’argent dégagé pour ces opérations devra être remboursé plus tard. Dès le départ, l’analyse de la crise par les gouvernements a été très inadéquate. Les salaires stagnaient et poussaient les consommateurs à l’emprunt. Aujourd’hui encore, au lieu d’encourager l’augmentation des salaires - éventuellement aux dépens des investisseurs (pourquoi pas, pour une fois ?) -, les Etats concentrent leurs efforts sur une relance de la consommation par le crédit. Si la croissance revient, elle reposera sur de très mauvaises bases, et on se dirige vers une croissance selon une courbe en W : une imitation de reprise suivie d’une rechute ou, plus probablement encore, une succession interminable de W.
(1) Pour 2009, la Banque mondiale prévoit une chute de 2,9 % du PIB, quand le Fonds monétaire international l’anticipe à 1,4 %.
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http://www.pauljorion.com/blog/?p=4211#more-4211
INSTALLES DANS LA CRISE ET LA DEFLATION RAMPANTE
par François Leclerc
Nous sommes désormais installés dans la crise sans savoir comment en sortir, c’est la seule constatation solide possible dans l’état actuel des choses. La plus optimiste également. Le leadership mondial des Etats-Unis et de l’Europe, menacé par la puissance chinoise, continue bien de s’exercer, mais d’une manière toute particulière, comme premier de la classe dans la crise !
Non pas que la Chine ne rencontre pas ses propres difficultés ; elles sont principalement de quatre natures. Une baisse très importante des exportations, due à la récession mondiale et en particulier américaine (en réalité désormais partiellement structurelle). Un chômage d’ampleur montant, facteur d’instabilité sociale préoccupante pour le régime. Une bulle financière et immobilière résultant des efforts de relance provenant de l’ouverture des vannes du crédit bancaire, qui n’a que très partiellement atteint l’appareil productif. Et, enfin, une grande difficulté à trouver rapidement le chemin d’une croissance « saine » de rechange s’appuyant sur le développement du marché intérieur.
Confrontée à un arrêt brutal de ses exportations et à une lente progression de son marché intérieur, la Chine ne va pas pouvoir renouer de sitôt avec ses taux de croissance fulgurants. Et encore moins « tirer » la croissance mondiale. En prenant la toute récente décision de lancer le crédit à la consommation en Chine, où il n’existait pas, le gouvernement Chinois tente bien d’accélérer le mouvement. Mais c’est s’appuyer sur les couches sociales qui ont bénéficié de l’essor économique de la dernière décennie, et laisser encore une fois le reste du pays dans une situation d’arriération. C’est appliquer le modèle social inégalitaire et déséquilibré qui prévaut déjà dans les autres pays émergents et recèle de nouveaux problèmes, les premiers étant non résolus.
La zone Euro oscille pour sa part entre la récession, de fugaces et modestes incursions hors du rouge dans quelques pays, et la réalité d’une déflation rampante générale, que l’on cherche à éviter de reconnaître. Le prix du pétrole et de l’énergie a été mis dans un premier temps à contribution, avec force doctes explications s’appuyant sur le fait qu’il était auparavant très élevé et que sa baisse intervenue depuis était à l’origine de la déflation, qui n’en était donc pas une !
Mais les chiffres ont la vie dure, même quand on écarte du calcul le prix de l’énergie et des produits alimentaires, et que l’on retrouve à l’arrivée le même signal de déflation. Les espoirs de sortie de la récession vont devoir faire place à la reconnaissance de la déflation. On peut traîner à reconnaître que l’on est entré dans celle-ci, mais on ne sait jamais quand on va en sortir. Les keynésiens ont déjà perdu leur voix à force de crier que nous étions dans la fameuse « trappe à liquidités » qu’à connu le Japon, quand les liquidités déversés en masse dans l’économie ne parviennent pas à la relancer. L’expérience japonaise a montré que l’on pouvait rester collé ainsi pendant longtemps.
La rentrée va donc devoir être l’occasion de nouveaux laborieux exercices de communication gouvernementaux. Mais ils ne suffiront évidemment pas à exorciser le mal. C’est ce que le gouvernement allemand semble avoir le mieux compris, en prenant déjà de premières mesures Le BaFin, l’autorité allemande de surveillance financière, vient de rendre publiques des règles imposant aux banques de procéder à partir de la fin de l’année à des stress tests réguliers, afin de vérifier si leurs fonds propres sont suffisants pour faire face aux chocs prévisibles à venir. Ceux-ci devront être réalisés au niveau des groupes et non plus de manière éparse, incluant les filiales étrangères et le hors bilan. Autant de sages précautions. Il faut dire que le cas d’Hypo Real Estate, la banque allemande spécialisée dans le crédit immobilier, aujourd’hui nationalisée à 90% et qui a déjà bénéficié de 100 milliards d’euros d’aide publique (en garanties) a traumatisé la classe politique allemande. Il est question de devoir encore remettre au pot et d’en sortir les actionnaires restant pour en prendre le contrôle à 100%. Le rideau de fumée derrière lequel le gouvernement Français navigue n’en apparaît que plus opaque. Surtout quand Christine Lagarde, ministre de l’économie et des finances, se réfugie derrière la nécessité d’un accord international (impossible, elle le sait) pour réguler les primes et les bonus du secteur financier, alors que le BaFin prend de son côté le taureau par les cornes (enfin, on verra à l’usage !).
Parlant d’exercices de communication gouvernementaux, il faut évoquer la préparation du plus grand d’entre eux, la prochaine réunion du G20, les 24 et 25 septembre prochains à Pittsburgh (Etats-Unis). Timothy Geithner sera les 4 et 5 septembre prochains à Londres, afin de participer à la réunion des ministres des finances du G20 et afin de préparer le sommet. Son ministère nous a déjà informé qu’il sera évoqué « une série de questions, notamment l’état de l’économie mondiale et les progrès accomplis » depuis le précédent G20 d’avril dernier. Munis de ces précieuses précisions, devons-nous attendre à ce que de grandes décisions de relance soient prises ? Cela semble bien peu probable, tant chacun privilégié désormais, replié sur son Aventin, sa propre analyse et ses propres remèdes.
A Pittsburgh, nous n’en apprendrons probablement pas d’avantage à propos des mesures de régulation financière, pouvant néanmoins considérer que ce qui est en cours d’achèvement à propos des paradis fiscaux donne la mesure de ce qui sera adopté finalement dans tous les secteurs de l’activité financière. C’est à dire peu de choses à l’arrivée. Aloïs von und zu Liechtenstein, chef d’Etat de la principauté du même nom, vient d’ailleurs de déclarer à l’AFP : « Le Liechtenstein va rester une place attractive (…) Il est difficile de prédire quel secteur va croître à l’avenir, mais je ne serais pas surpris si le secteur des services financiers allait vivre un boom ». Comme tous les principaux paradis fiscaux, la principauté multiplie les conventions fiscales bilatérales, en vue de sortir de la « liste grise » de l’OCDE.
Concernant le dispositif global de régulation financière, la nouvelle la plus importante de ces dernières semaines aura été l’annonce par le Trésor américain qu’il avait remis sa copie au Congrès, qui dispose désormais de l’intégralité du projet de loi gouvernemental, mais est en vacances ! Des discussions acharnées sur des sujets techniquement très pointus étant certaines, il est hasardeux de prédire si les délais initiaux seront respectés, si la loi pourra être votée par les deux assemblées fin de l’année, afin d’être promulguée par Barack Obama. Nous serons en attendant très largement suspendus à ce qui y sera finalement inscrit comme mesures, afin de mieux apprécier l’étendue des zones d’ombres qui subsisteront. Puisque c’est de cela qu’il s’agit.
Ce qui peut être rétrospectivement compris, en lisant les analyses disponibles de ce projet, qui fait suite au « Livre blanc » rendu public le 17 juin dernier, c’est de découvrir à contrario à quel point inimaginable tout le secteur financier avait été totalement dérèglementé, tout ou presque étant possible, ce qui explique non seulement la crise, mais l’extrême difficulté dans laquelle se trouve ceux qui veulent défaire les écheveaux des produits financiers les plus sophistiqués par qui le malheur est arrivé. Le cas de Lehman Brothers, dont la liquidation va prendre des années, l’illustre aussi parfaitement. La question est donc posée : à ce point de complexité des produits financiers, toute régulation n’est-elle pas en soi une gageure ? Tout dispositif de surveillance un leurre ?
Installés dans la crise, nous allons avoir le temps pour y réfléchir, c’est déjà une consolation.
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