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L'Islande ou les faux semblants de la régulation de l'après-crise.
Eva Joly
01.08.09 | 14h35
e G8 en G20, beaucoup de chefs d'Etats et de gouvernements aiment à répéter que rien ne sera plus comme avant. Le monde change, la crise l'a même bouleversé ; nos façons de penser et d'agir en termes de régulation financière, de relations internationales ou d'aide au développement doivent donc, nous disent-ils, évoluer de même. Mais de nombreux exemples contredisent hélas toutes ces belles paroles. La situation dans laquelle se trouve l'Islande à la suite de l'implosion de son système bancaire et de la nationalisation en urgence de ses trois principales banques (Kaupthing, Landbanski et Glitnir) en est sans doute l'un des plus significatifs. Ce petit pays de 320 000 habitants voit peser aujourd'hui sur ses épaules 100 milliards de dollars de dettes, avec lesquelles l'immense majorité de sa population n'a strictement rien à voir et dont elle n'a pas les moyens de s'acquitter.
Prenons d'abord les exigences du Royaume-Uni et des Pays-Bas. Ces pays sont concernés par la faillite des banques islandaises car ils avaient accueilli à bras ouverts leurs filiales et succursales, alors même que leurs autorités avaient été alertées, au moins partiellement, des risques qui pesaient sur ces banques. Ils exigent aujourd'hui que l'Islande leur verse des sommes astronomiques (plus de 2,7 milliards d'euros pour le Royaume-Uni et plus de 1,3 milliards d'euros pour les Pays-Bas), assorties d'un taux d'intérêt de 5,5 %. Ils estiment que c'était à elle de garantir les dépôts réalisés auprès d'Icesave, une succursale Internet de Lanbanski qui offrait des taux défiant toute concurrence. Ils ont eux-mêmes décidé de fixer cette garantie non pas à 20 000 euros environ par dépôts, comme le prévoyaient les textes européens et islandais au moment de la faillite de Landbanski – ce qui était déjà impossible à tenir pour le gouvernement islandais, qui avait très vite annoncé après avoir nationalisé ses banques qu'il ne pourrait garantir que les dépôts réalisés en Islande même – mais à 50 000 euros, à 100 000 euros par dépôt, voire au-delà. Par ailleurs, leurs mesures pour l'y contraindre sont scandaleuses. Le Royaume-Uni a ainsi commencé, dès le tout début du mois d'octobre, par une mesure de rétorsion extrême : le gel des avoirs de la banque Kaupthing, qui n'avait elle-même aucun rapport avec Icesave, en usant de sa législation anti-terroriste. Ce faisant, il mettait les Islandais, ses alliés au sein de l'OTAN, dans la même catégorie que des organisations comme Al Qaida… Et depuis, il semble peser de tout son poids pour qu'aucune aide internationale ne soit réellement mise en place au profit de l'Islande avant qu'il ait obtenu satisfaction. Gordon Brown a ainsi indiqué devant son Parlement travailler "avec le FMI" pour déterminer au mieux ce qu'il estimait être en droit de réclamer à l'Islande. Quant au FMI lui-même, non content de tarder à mettre ses prêts à disposition de l'Islande, il les assortit de conditions que l'on trouverait grotesques s'il s'agissait d'une fiction. C'est le cas avec l'objectif de ramener le déficit public de l'Islande à zéro d'ici 2013, un objectif impossible à tenir mais qui n'en entraînera pas moins d'énormes coupes dans les dépenses les plus indispensables que sont l'éducation, la santé publique, la sécurité sociale, etc. Enfin, de manière générale, l'attitude de l'UE comme d'autres Etats européens n'est guère plus recommandable. La Commission européenne a clairement pris fait et cause pour le Royaume-Uni, puisque son président a indiqué dès le mois de novembre qu'il n'y aurait pas d'aide européenne tant que le cas Icesave ne serait pas résolu ; il est vrai que M. Barroso, trop occupé par sa propre campagne et terrorisé à l'idée de se mettre à dos son principal soutien, Londres, est comme à son habitude dépassé par les événements. De même, les pays scandinaves, pourtant hérauts de la solidarité internationale, brillent avant tout par leur absence de réaction face au chantage dont est victime l'Islande – ce qui a de quoi nuancer la générosité de l'aide qu'ils lui ont promis.
M. Brown a tort quand il dit que son gouvernement et lui-même n'ont aucune responsabilité dans l'affaire. M. Brown a d'abord une responsabilité morale, ayant été l'un des principaux promoteurs de ce modèle dont on voit aujourd'hui qu'il marche sur la tête. Mais il a aussi une responsabilité dans le sens où il ne peut en réalité s'abriter derrière le statut légal d'Icesave – qui la faisait dépendre formellement des autorités bancaires islandaises – pour dire que le Royaume-Uni n'avait ni les moyens ni la légitimité pour en superviser les activités. Comment aurait-on pu imaginer que 50 personnes à Reykjavik auraient pu contrôler efficacement les activités d'une banque au cœur de la City ? C'est d'ailleurs à noter, les directives européennes consacrées aux conglomérats financiers semblent bien indiquer que les Etats membres de l'UE qui autorisent l'entrée sur leur territoire de tels établissements originaires d'un pays tiers doivent s'assurer qu'ils bénéficient d'un même degré de contrôle de la part des autorités de leur Etat d'origine que ce que les textes européens prévoient. Ainsi y a-t-il peut-être eu défaillance, sur ce point, des autorités britanniques – ce qui ne serait pas très étonnant, lorsque l'on voit les "performances" d'autres banques anglaises au cours de la crise financière, qui elles n'étaient aucunement originaire d'Islande… L'activisme de M. Brown face à ce petit pays ne s'expliquerait alors que par une volonté de paraître puissant aux yeux de ses propres électeurs et contribuables, dont les pertes ne sauraient naturellement être minorées. Répétons-le, les institutions islandaises ont évidemment de fortes responsabilités dans l'affaire. Faut-il pour autant ignorer celles tout aussi considérables des autorités britanniques, et faire peser le tout sur le seul peuple islandais ?
Surtout, l'Islande, qui ne dispose plus que de ses exportations pour tout revenu, ne pourra pas payer de telles dettes. L'accord sur Icesave que le Parlement islandais est supposé voter prochainement entraînerait pour l'Islande une dette qui équivaudrait à 700 milliards de livres sterling pour le Royaume-Uni, et à 5,6 trillions de dollars pour les Etats-Unis. De même, elle ne pourra pas supprimer son déficit en moins de cinq ans alors que ce dernier explose plus que jamais, y compris pour les grandes puissances – le Royaume-Uni et les Etats-Unis en fournissant là encore un très bon exemple. A moins de ne changer radicalement d'approche, l'Europe et le FMI s'apprêtent donc à accomplir un véritable exploit : ravaler un pays dont l'Indice de développement humain (IDH) s'était hissé en quelques décennies au plus haut niveau mondial au rang de pays pauvre… Conséquence : les Islandais, pour la plupart hautement qualifiés et polyglottes et travaillant beaucoup avec les pays nordiques, où ils sont très facilement assimilables, commencent déjà à émigrer (8 000 d'entre eux sont d'ores et déjà partis, ce qui est loin d'être négligeable). Au final, ni le FMI, ni l'Angleterre ou les Pays-Bas ne pourront être remboursés ; ne resteront plus en Islande que quelques dizaines de milliers de pêcheurs retraités, ainsi que des ressources naturelles et une position géostratégique des plus importantes et à la merci du plus offrant – la Russie, par exemple, pourrait fort bien y voir un certain intérêt.
Il existe pourtant des solutions alternatives. Les pays de l'Union européenne auraient ainsi pu réfléchir à un mécanisme permettant de mieux prendre en compte leurs propres responsabilités dans l'affaire, à vraiment mieux réguler les marchés financiers, voire à répercuter sur eux-mêmes, pour avoir failli dans leurs missions de supervision bancaire, une partie au moins de cette dette – ce que les textes européens n'interdisent en rien. Ils auraient pu proposer à l'Islande, qui n'a évidemment aucune expérience en la matière, de l'assister dans l'enquête qu'elle cherche à mener pour comprendre ce qui s'est réellement passé et analyser en profondeur les causes de ce désastre ; ils auraient même pu en profiter pour lancer pour eux-mêmes une réflexion autour d'un parquet européen en charge des affaires concernant la grande criminalité transnationale, notamment financière – ce que là encore les textes européens permettent d'envisager. Et de même, le FMI et son directeur général auraient pu profiter de cette occasion pour revoir en profondeur le type de conditionnalités qu'il adjoint à ses prêts. Ils auraient pu les rendre plus réalistes, plus soucieuses de long terme, et leur permettre d'intégrer un minimum de considérations sociales. Cela aurait été un premier pas vers une réelle réforme des institutions multilatérales de ce type et des procédures de solidarité internationale – et pour M. Strauss-Kahn lui-même l'occasion de se constituer enfin un bilan à la tête du FMI.
Porter ce débat demandera évidemment beaucoup de temps et d'énergie, et une très grande vigilance – notamment au Parlement européen, où les discussions devraient être animées au cours des prochains mois. La présidence suédoise de l'UE ne semble en effet pas pressée de mieux réguler les secteurs financiers, et de plus les commissions à dominante économique du Parlement sont plus que jamais dominées par les libéraux – notamment des libéraux britanniques. Mais les outils, les leviers existent pour véritablement faire avancer les choses ; et pour qu'enfin une catastrophe comme celle de l'Islande puisse susciter une réponse internationale qui ait du sens, et non plus les pressions irresponsables et cyniques que nous pouvons voir encore aujourd'hui.
Eva Joly est députée européenne Verts et conseillère pour le gouvernement islandais dans l'enquête pénale sur les causes de la défaillance des banques.
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