Monday, 27 April 2009

une constitution mondiale pour l'economie

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http://www.pauljorion.com/blog/?p=165

Le texte ci–dessous a paru dans Le Monde Économie, en date du mardi 4 septembre, en page VI.

Qui est le responsable de la crise que traverse en ce moment le monde de la finance ? Jonathan Weil, chroniqueur de l'agence de presse Bloomberg, croit le connaître : c'est la norme comptable américaine No 140. Il existe pourtant des suspects plus évidents : par exemple la raréfaction massive des candidats à l'achat d'une maison sur un marché immobilier où l'envolée des prix interdit l'accès à de nouvelles recrues ; ou bien encore le crédit d'impôt sur les emprunts au logement qui fut le principal facteur à l'origine de la bulle immobilière aux États–Unis (notons à ce propos qu'avec le dispositif présenté en Conseil des ministres le 24 août, la France a décidé d'ignorer superbement l'une des leçons de la débâcle américaine). Ceci dit, la culpabilité de la norme No 140 ne fait aucun doute : c'est elle qui permet aux organismes prêteurs de passer hors–bilan les prêts hypothécaires, les « mortgage », qui seront reconditionnés et titrisés soit comme Mortgage–Backed Securities (pour le secteur « prime ») soit comme Asset–Backed Securities (pour le secteur « subprime »), et de comptabiliser immédiatement comme recettes le gain escompté, quelque soit par ailleurs la capacité des emprunteurs à rembourser leur dette. La norme No 140 a certainement encouragé à ce titre les banques à ignorer la qualité de ces prêts. Ceci dit, la norme No 133 réglant la comptabilité des dérivés a aussi une part de responsibilité, et l'on s'inquiète déjà à juste titre des conséquences possibles des normes No 157 et 159 qui déterminent le champ d'application du nouveau concept ambigu de « juste valeur ». Bien sûr, envisager la crise actuelle dans la perspective des normes comptables revient à regarder les choses par le petit bout de la lorgnette mais permet cependant de mettre l'accent sur une caractéristique majeure de la finance – le système sanguin de l'économie : son encadrement par un lacis de lois, de règlements et de normes dont le seul but est de contenir son comportement spontané, à savoir, sa prédisposition intrinsèque à l'excès. Cette propension irrésistible à l'excès rend manifeste une différence cruciale, rarement notée, entre l'économique et les autres institutions et notamment les institutions politiques. Fixons brièvement le contraste. Nous vivons dans un système de démocratie représentative qui est facteur de stabilité parce qu'il assigne un rôle déterminant aux électeurs du centre : ce sont eux qui décideront d'élection en élection une politique qui ne sera jamais qu'un peu plus à droite ou un peu plus à gauche. Ce système est le nôtre depuis plusieurs siècles. Il nous convient : nous ne perdons pas notre temps à en réviser les règles pour corriger tel ou tel de leurs effets inattendus. Ce système, surtout, est une invention humaine : il s'est bâti historiquement, d'abord un peu en Grèce, pour se compléter ensuite en Angleterre, aux États–Unis et en France. C'est ce trait de la démocratie d'avoir été une invention humaine qui distingue essentiellement notre organisation politique de notre économie. La finance est, comme je l'ai dit, contrainte par un lacis de réglementations. Mais celles–ci ne forment pas conjointement une « constitution », il s'agit plutôt d'un glacis, d'un système d'endiguement, d'une combinaison de garde–fous, contre une finance prédisposée à l'excès et au débordement. Dans un processus infini de réglementation et de déréglementation, nous révisons sans cesse ces textes pour prévenir leurs effets négatifs inaperçus à l'origine, voire pour contrer ceux–là qui font profession d'en découvrir les failles afin de les détourner. La raison en est simple : contrairement au cas du politique, notre économie et notre finance ne disposent pas d'un système inventé par nous, il s'agit au contraire d'une survivance de la manière dont fonctionne la nature livrée à elle–même, dans la concurrence de tous avec tous, réglée seulement par les rapports de force et débouchant sur l'élimination du plus faible par le plus fort. A la fin du XVIIIè siècle, l'anthropologue Johann Friedrich Blumenbach avait observé que nous avons soumis notre propre espèce au même régime que celui que nous avons réservé à certaines autres : nous nous sommes domestiqués. Cette domestication, qui a pacifié nos rapports mutuels, n'est pas complète. Si l'on utilise parfois l'expression de « capitalisme sauvage », c'est parce que l'on ressent intuitivement que le capitalisme représente en effet l'économique sous sa forme sauvage, non–domestiquée. Quand nous évoquons l'existence d'un « système » capitaliste, nous pensons au fait que l'économie fonctionne quelquefois de manière stable, ou plutôt, car c'est de cela qu'il s'agit, de manière cyclique. Or, de tels cycles se rencontrent également dans la nature livrée à elle–même : ils caractérisent en particulier l'interaction spontanée des populations de prédateurs et de proies. Les rapports naturels ne laissent en présence que des vainqueurs en petit nombre face à des multitudes de vaincus et c'est de cette manière que notre économie fonctionne aussi. Notre seule tentative jusqu'ici de mettre en place une alternative au capitalisme a consisté à transposer au plan économique un système politique totalitaire : une solution exécrable qui s'est révélée tout aussi désastreuse une fois appliquée à l'économie. Qui s'en étonnera ? Les crises, comme celle que nous traversons en ce moment et qui ne fait que débuter, sont là cependant pour nous rappeler que la tâche n'est pas terminée : notre organisation économique n'a pas encore dépassé le mode d'expression primitif qui caractérisait déjà la nature avant l'homme et le moment est venu pour nous de la guider vers sa forme domestiquée, pacifiée, de découvrir pour elle l'équivalent de ce que la démocratie représente au plan politique. L'économie n'a nul besoin de nouvelles réglementations mais elle réclame certainement une authentique constitution.

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