Sunday, 29 March 2009

attali: un gouvernement mondial ou 300m de morts

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http://www.lemonde.fr/archives/article/2009/03/26/la-crise-par-ou-la-sortie_1172903_0.html

Débat

La crise, par où la sortie ?

LE MONDE

26.03.09 13h22

Quel diagnostic portez-vous sur la crise économique mondiale que nous vivons aujourd'hui ? Quel sens revêt-elle pour notre société ?

Emmanuel Todd : Avant la crise, certains qualifiaient les Français de pessimistes. Aujourd'hui, vu ce que nous vivons, je crois que nous pouvons dire qu'ils sont réalistes. Le niveau de conscience de la population est d'ailleurs, selon moi, supérieur à celui de nos gouvernants. Qui peut ainsi encore croire que nous sommes confrontés à un simple problème financier ou de moralité ?

Aujourd'hui, la question centrale est celle de l'insuffisance globale de la demande, d'où tous ces discours autour des plans de relance. Ce point est désormais largement admis. En revanche, ce qui n'est pas encore admis - exception faite de quelques analystes plus en pointe -, c'est la cause de cette demande insuffisante qui n'est autre que le libre-échange.

Le libre-échange n'est pas une mauvaise chose en soi. Une partie de l'argumentation libre-échangiste est valable : réalisation d'économies d'échelle ; spécialisation des pays selon leurs compétences de production, etc. Mais l'extension démesurée du libre-échange a renvoyé le capitalisme à sa vieille tradition qui est celle d'une sorte de retard tendanciel de la demande par rapport à la croissance de la production.

Qu'est-ce qui se passe sous un régime de libre-échange ? Les entreprises, les unes après les autres, se positionnent non plus par rapport à une demande intérieure, à l'échelle nationale, mais par rapport à une demande de plus en plus perçue, dans la réalité mais aussi de manière un peu mythique, comme une demande extérieure.

Conséquence : les entreprises ne perçoivent plus les salaires distribués comme une contribution à la demande intérieure mais plutôt comme un coût qui les empêche d'être compétitives vis-à-vis de leurs concurrents mondiaux. Essayez d'imaginer ce qui se passe si toutes les entreprises, partout sur la planète, entrent dans une logique d'optimisation et de compression du coût salarial : vous arrivez à la situation actuelle ! Qui plus est, ce mécanisme est aggravé par l'arrivée de pays émergents, comme la Chine.

Cette ligne directrice permet de comprendre la crise actuelle. D'un côté, pour la majorité de la société, on assiste à un écrasement de la consommation, avec une montée des inégalités. De l'autre, un afflux d'argent au cerveau qui explique la spéculation financière. Tant que les gouvernants n'auront pas compris cela, nous ne nous en sortirons pas. C'est sympathique que le G20 se réunisse le 2 avril, à Londres, sauf qu'il va se réunir pour dire qu'il faut empêcher toute mesure protectionniste...

Jacques Attali : Comment expliquer la crise ? D'abord, il faut rappeler que la crise est l'état naturel du système vivant. L'information est imparfaite dans toute société. Paradoxalement, on pourrait dire que la crise est la manifestation de la liberté puisqu'il est impossible de prévoir le comportement des différents acteurs. Mais l'information n'est pas seulement insuffisante, elle est aussi asymétrique, c'est-à-dire que certains monopolisent tel ou tel savoir afin d'en être les seuls bénéficiaires.

D'où l'importance de la prévision qui permet, en principe, de compenser ce déficit et de déclencher, si nécessaire, l'intervention des pouvoirs publics. Ainsi, si dans tel ou tel pays, on constate une insuffisance de la demande, l'Etat peut tenter de la pallier. L'Etat reste un acteur central qu'Emmanuel Todd semble oublier un peu vite.

Malheureusement, aux Etats-Unis, là où la crise a éclaté, l'Etat n'a pas joué son rôle. Les classes moyennes américaines ont vu leur salaire baisser depuis trente ans mais les pouvoirs publics ne sont pas intervenus - à l'inverse des Européens - pour soutenir la demande intérieure, soit par des investissements ou l'instauration de transferts sociaux.

Les Etats-Unis ont choisi la voie de l'emprunt. L'emprunt, ce n'est pas l'argent qui monte à la tête d'un système mais c'est le mode américain de création d'une demande externe au marché. Et pour permettre aux Américains d'emprunter, de nombreux outils sophistiqués ont été créés qui ont permis de prêter sans aucun garde-fou, c'est-à-dire de transférer les risques au voisin.

Enfin - pour venir sur le terrain d'Emmanuel Todd - je crois que nous assistons surtout à une globalisation du marché sans globalisation de l'Etat de droit. Or chacun sait qu'un marché sans Etat de droit - et sans Etat tout court -, ne peut fonctionner. Le seul marché sans Etat de droit qui existe actuellement dans le monde, c'est la Somalie, une véritable catastrophe pour les populations. Aujourd'hui, nous sommes en train de nous diriger vers une Somalie planétaire !

Or pour certains, et je pense au monde anglo-saxon, la crise actuelle n'est qu'un épisode difficile à passer, la vague de croissance mondiale devant permettre la remise en ordre économique du monde. Wall Street continuera donc de dominer la Maison Blanche et la City, le 10 Downing Street (lieu de résidence du premier ministre britannique). C'est comme cela que le système fonctionne aujourd'hui et que la puissance anglo-saxonne est assurée.

Cette solution qui revient à ne rien faire et que le G20 du 2 avril, en effet une mascarade comme le dit Emmanuel Todd, va vouloir ratifier, est une fausse piste. Nous avons aujourd'hui besoin d'une gouvernance planétaire. Mais je pense que nous aborderons plus tard la question des solutions.

Jean Gadrey : La crise que nous vivons est systémique. Elle comporte plusieurs dimensions que les plans de relance devraient prendre en compte. Pour commencer, je crois que la question de l'asymétrie d'information évoquée par Jacques Attali est une abstraction spéculative. Elle n'explique ni la domination actuelle du dollar, ni celle de la puissance militaire américaine, ni la crise écologique.

Mon diagnostic est que nous vivons une crise sociale et, de plus en plus d'experts l'admettent, une crise des inégalités, de l'excès de richesse. C'est aussi un séisme financier et un tremblement de terre géopolitique. Nous en aurons la démonstration lors du prochain G20 lorsque le Fonds monétaire international (FMI) tentera d'intervenir et qu'une fois de plus la structure de son organisation (répartition des droits de vote entre pays développés et pays émergents) sera un frein. L'institution internationale doit absolument être réformée, si l'on veut s'en sortir.

Enfin, nous sommes face à une crise écologique très grave qui n'est pas du tout déconnectée de la crise économique et sociale actuelle. Il suffit d'évoquer les mouvements de yo-yo des cours des matières premières, du pic de l'offre de pétrole, etc. Le dumping écologique est l'une des dimensions du dumping fiscal et social dénoncé par Emmanuel Todd dans sa critique justifiée du libre-échange.

Nous allons, je crois, vers une crise des subprimes écologiques. Nous accumulons vis-à-vis de la nature des dettes pourries et la banque mondiale des ressources naturelles qui, pour l'instant, nous fait encore crédit, va nous faire payer durement ces dettes excessives. Il faut la recapitaliser d'urgence et les plans de relance actuels, qui ne sont pas suffisamment "verts", n'en prennent pas le chemin.

Erik Orsenna : Nous sommes dans l'ère du virtuel. Depuis trois ans, je suis membre du conseil d'administration de l'Ecole normale supérieure. J'y ai rencontré des mathématiciens qui vivent avec d'autres élèves de grandes écoles au sommet de l'abstraction, d'où ils peuvent créer du virtuel financier, avec des produits et des techniques extrêmement sophistiqués, comme la fameuse titrisation : on découpe les risques et comme ça personne ne sait où ils se trouvent.

En réalité, ce virtuel est au service du mensonge. En principe quand un ménage ne gagne pas beaucoup d'argent, il ne s'achète pas de maison. Ce qui ne satisfait guère les banquiers qui ne distribuent pas beaucoup de prêts. Du coup, c'est l'embrouille : on explique aux pauvres qu'ils peuvent quand même accéder à la propriété grâce à des prêts dont on ne vérifie pas les garanties, etc.

C'est le feuilleton des subprimes... La finance est devenue une Game Boy pour adultes et la finance est surtout devenue une fin en soi. La finance au service de l'économie, bien sûr, mais la finance au service de la finance, nous avons vu à quoi cela nous a menés. Autre grille de lecture qui me semble importante, celle du temps. Nous sommes dans l'ère de la satisfaction instantanée. Il y a une infantilisation des décideurs économiques qui veulent tout et tout de suite. Le long terme est le grand absent de toutes ces prises de décision. Voilà pourquoi, nous avons oublié l'écologie.

Dernier point que j'ai remarqué en parcourant par deux fois le monde, une fois pour le coton et une fois pour l'eau, c'est le développement des inégalités. La mondialisation a du bon, dans certains cas. J'ai vu au Brésil, en Inde et en Chine des centaines de millions de gens réussir à sortir de la misère absolue pour devenir pauvres puis constituer ensuite une classe moyenne. Mais ce n'est plus le cas actuellement.

Nous sommes bloqués. Et ce qui me frappe, c'est qu'à cette inégalité économique s'ajoute une inégalité climatique. Nous n'allons pas devoir affronter une crise globale de l'eau mais il y aura des crises locales qui vont frapper de nombreux territoires, parmi les plus pauvres. En réalité, nous vivons beaucoup de crises à la fois : crise de l'urbanisation démesurée, crise agricole... Les crises s'enchaînent et la plus grave n'est pas celle que nous vivons.

Mme Jouanno, ne craignez-vous pas que le séisme économique actuel passe par pertes et profits les exigences liées à la crise écologique que nous vivons aujourd'hui ?

Chantal Jouanno : La crise écologique actuelle c'est un réchauffement climatique qui peut atteindre - dans son scénario extrême - plus de 6 °C ! Nous vivons aujourd'hui une large crise de la biodiversité. En France, les abeilles disparaissent et on ne sait toujours pas comment l'expliquer précisément. Les problèmes de santé liés à l'environnement (pollution de l'air etc.) sont en train d'exploser. Qui pourrait dire que tout cela est anodin...

Pour apporter des réponses à tous ces défis, il faut, entre autres, changer de modèle de prise de décision. C'est ce que nous avons voulu tester avec le Grenelle de l'environnement où, au lieu d'avoir un plan gouvernemental élaboré dans des cabinets ministériels puis présenté au Parlement, nous avons préféré élaborer un système avec cinq collèges très équilibrés : les associations, les entreprises, les syndicats, les élus et l'Etat qui, pour une fois, est resté silencieux. Ce sont eux, ensuite, qui ont présenté le plan aux députés et aux sénateurs.

Concernant les actions à mener, et je ne définis pas autrement ma feuille de route, je vais appliquer les décisions du Grenelle de l'environnement. Elles sont ambitieuses puisqu'il s'agit d'un plan de 440 milliards d'euros d'investissement d'ici à 2020. Quand on me demande pourquoi j'ai été nommée, je réponds - et nous sommes loin du virtuel - que c'est pour faire ce boulot.

Le Grenelle de l'environnement est un premier plan de relance. Vient ensuite le deuxième volet gouvernemental qui, lui, se chiffre à 26 milliards d'euros. Des voix critiques s'élèvent pour dire qu'avec cet argent, nous allons essentiellement construire des routes. C'est inexact. Quelque 870 millions d'euros sont en effet consacrés aux infrastructures (ferroviaire, maritime...), la route ne représentant que 400 millions d'euros dont 200 millions liés aux questions d'entretien et de sécurité.

Au global, 20 % du deuxième plan de relance sont consacrés à l'accélération des dépenses pour l'écologie. Peu de pays dépassent ce pourcentage. La Corée, elle, affiche un plan nettement plus ambitieux avec 80 % des dépenses dédiées à l'écologie.

Emmanuel Todd : Le problème, aujourd'hui, ce n'est pas la disparition des abeilles, c'est la disparition des emplois !

Chantal Jouanno : Si l'on persiste à raisonner avec les anciennes recettes - l'offre et la demande - qui datent d'Adam Smith, puis de Keynes, je crains que nous n'allions au-devant de fortes difficultés. Notamment en termes d'emplois. A la prochaine crise, nous en perdrons encore plus...

Jean Gadrey : Si j'étais à la place d'Emmanuel Todd, j'utiliserais l'argument écologique à l'appui de ma thèse contre le libre-échange.

Toutes les personnes que je rencontre au sein des ONG dédiées à l'écologie constatent que le libre-échange d'aujourd'hui est un facteur d'aggravation de la dégradation de l'environnement. Le dumping social sur lequel insiste Emmanuel Todd est très important, certes, mais le dumping écologique l'est tout autant. Le protectionnisme ne doit pas obligatoirement passer par des barrières douanières ou tarifaires.

Pourquoi ne pas mettre plutôt en place une taxe transport, une taxe CO2, une taxe kilométrique ? Il est clair que faire parcourir 17 000 kilomètres en avion-cargo réfrigéré, au gigot néo-zélandais pour le vendre moins cher que le gigot local n'est pas un objectif écologiquement et socialement souhaitable. Après ces différents diagnostics posés, riches, intéressants, quelques fois contradictoires, il est temps de réfléchir aux solutions. Protectionnisme ? Gouvernement mondial ? L'Europe ou le planétaire ? Quels leviers faut-il actionner ?

Jacques Attali : Dans les semaines qui viennent, la principale question à régler est la crise financière. Le système bancaire et les compagnies d'assurance mondiaux sont en faillite. Il est donc urgent de mettre en place un système de régulation du système financier afin de rétablir la confiance.

Je pense ensuite qu'il faut réfléchir à un gouvernement mondial, bien évidemment démocratique. Cela doit être aussi une priorité. Dans les années 1930, un certain nombre de personnes avaient compris la nécessité de changer de système monétaire et le besoin d'un marché commun pour éviter la guerre qui s'annonçait. On a préféré faire la guerre et les réformes après. Je crains que la même erreur ne se reproduise. On fera d'abord les guerres - et il y aura 300 millions de morts -, puis les réformes et un gouvernement mondial.

Un gouvernement mondial n'est pas une utopie. Il existe déjà dans de nombreuses dimensions : vous prenez un avion, vous obéissez à un gouvernement mondial, celui de la sécurité aérienne. Il existe aussi une instance internationale pour le football. Dans le monde de la finance, vous avez la Banque des règlements internationaux (BRI) qui a le pouvoir - même si elle s'est trompée - de définir les règles de solvabilité du système bancaire mondial.

Reste la question de la crise écologique. La solution n'est pas dans le fait de réduire la production ou la croissance mais d'en transformer la nature. Il faut consommer moins d'énergie par quantité de production. Jouer sur le progrès technique et investir massivement vers les énergies renouvelables : solaire, éolien etc.

Erik Orsenna : Jacques Attali a raison : il reste encore beaucoup de cadavres dans les placards de la finance. Le nettoyage doit continuer. Il n'est pas seulement indigne de s'octroyer des stock-options, il faut aussi rétablir la confiance afin que les gens ne croient plus qu'on leur ment en permanence.

Bien sûr, il est nécessaire de modifier la nature des relais de croissance. Comme d'habitude, lorsqu'il y a une sorte d'abondance, on est bête. Je suis frappé de voir à quel point l'abondance de pétrole, exploitable et transportable, nous a aveuglés. Comment ne pas avoir pensé plutôt à utiliser l'énergie solaire ! Nous devons également définir de nouveaux modes de production agricole, moins consommateurs d'énergie. Enfin et d'abord, le coeur de l'affaire c'est l'investissement dans le savoir. A ce sujet, la crise de l'université française est un véritable désastre.

Poursuivons sur les solutions. Hervé Kempf, journaliste au Monde, spécialiste des questions d'environnement et auteur de "Pour sauver la planète, sortez du capitalisme" (Seuil, 152 pages, 14 euros), est présent dans la salle et va donc nous proposer les siennes...

Hervé Kempf : Nous ne sommes pas en crise. Nous sommes, pour reprendre le terme du grand économiste Karl Polanyi, dans une "grande transformation". L'humanité atteint un seuil qui, si nous le passions, nous empêcherait de retrouver l'équilibre des systèmes naturels. La crise écologique est dans la zone rouge.

Ce défi écologique doit être articulé avec la question sociale et politique. Point central : la question de la productivité. Celle-ci est en progression constante depuis le début du siècle. Or la productivité n'est pas seulement l'augmentation du travail humain, c'est aussi la capacité à transformer la nature, la matière et à faire progresser les richesses.

Mais l'augmentation de la richesse collective permise grâce à l'amélioration de la productivité a été captée par une seule partie de la société, par le biais de la spéculation financière. Nous sommes aujourd'hui dans l'obligation de nous attaquer à la question fondamentale des inégalités, en forte progression depuis une trentaine d'années.

Nous avons besoin de lien social, d'une autre agriculture, d'une autre politique de l'énergie, de santé, d'éducation, et moins besoin, au moins dans les pays riches, de téléphones portables, d'automobiles... Il nous faut réduire la consommation matérielle et la consommation d'énergie, c'est un enjeu essentiel au regard de la crise écologique que nous vivons.

Pourtant, le modèle culturel des pays riches continue de se projeter dans les pays émergents dont beaucoup des habitants aspirent à vivre comme les Californiens, les Londoniens, les Français... C'est courir à la catastrophe. Aujourd'hui, il est temps de poser la question de l'inégalité de manière claire, la réduire et instaurer une économie centrée sur le lien social avec un faible impact écologique et des créations d'emplois importantes dans les secteurs des énergies renouvelables.

Chantal Jouanno : La crise actuelle n'est pas née directement d'une crise écologique, mais il est clair que les crises écologiques amplifiées deviendront des crises en elles-mêmes. Il y a une piste que je souhaiterais évoquer qui est celle de la révision des indicateurs qui sont les nôtres. Aujourd'hui, nous mesurons l'efficacité de notre système par le PIB. Or tout le monde sait que celui-ci augmente s'il y a des accidents de voiture (frais engagés, réparation etc.). En revanche, si l'on détruit notre patrimoine, qu'il soit humain ou naturel, le PIB ne l'intègre pas.

Il faut aussi s'interroger sur notre consommation dont la culture est totalement globalisée. Partout dans le monde, vous avez les mêmes chaussettes et les mêmes stylos. C'est une culture dans laquelle nous nous complaisons, sans qu'elle réponde nécessairement à nos besoins. Pourquoi consommer toujours plus alors qu'on n'y prend pas forcément du plaisir ? Jamais le nombre de personnes dans le monde qui consomment des antidépresseurs n'a été aussi élevé...

Jean Gadrey : Je suis tout à fait d'accord avec vous Mme Jouanno : le monde doit se doter de repères du progrès. Et le PIB actuel ne reflète pas l'activité réelle. Je proposerai, en ce qui me concerne, trois priorités : faire en sorte que les banques redeviennent un service public de financement de l'économie. Mais attention : pour financer quoi ? Il faudra y réfléchir. Faut-il encore financer des productions à l'exportation qui n'est pas la solution à tous les problèmes, comme le montre la crise et comme l'a expliqué Emmanuel Todd.

Deuxième point central, sur lequel je rejoins Hervé Kempf : la réduction des inégalités. Le Prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz - que je côtoie au sein de la Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social, instance chargée justement de réfléchir à l'élaboration de nouveaux indicateurs de richesse - explique régulièrement que les Etats-Unis ont été un modèle de croissance pour le monde entier pendant des années mais, qu'aujourd'hui, les Américains sont moins heureux qu'avant...

Enfin, et ce sera ma dernière remarque, nous avons beaucoup discuté ce soir des mesures possibles pour sortir de la crise, mais nous n'avons pas abordé une question au moins aussi importante, celle des acteurs sur lesquels pourraient s'appuyer ces initiatives : faut-il encore compter sur l'élite intellectuelle et politique ou les idées les plus originales ne sont-elles pas à chercher du côté de la société civile organisée au niveau mondiale...

Emmanuel Todd : Certes, nous sommes confrontés à toute une série de questions difficiles : la finance, l'écologie, mais il ne sera pas possible de régler tous les problèmes en une seule fois. Je crois que nous devons cibler en priorité nos actions et commencer par nous attaquer au libre-échange. J'en reviens donc à cette idée de protectionnisme européen. L'Europe me semble le bon espace pour débuter. Pour bien y réfléchir - car le problème, je ne le nie pas - est complexe, je recommanderai la fondation d'instituts de recherche avec des économistes, des industriels afin de définir les secteurs de production qui doivent être protégés, sur un mode, si possible coopératif entre grandes régions.

Propos recueillis par Marie-Béatrice Baudet
Article paru dans l'édition du 27.03.09

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