Les étranges directives de la direction de la répression des fraudes
LE MONDE
10.05.08 | 15h12
‘enquête lancée par la direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) sur une éventuelle entente entre banques dans les crédits immobiliers ne fait pas que des heureux (Le Monde du 27 mars). Les perquisitions menées le 18 mars aux sièges nationaux de quatre grandes banques françaises (Caisses d’épargne, Crédit agricole, Banques populaires et Crédit mutuel) ont profondément déplu aux dirigeants de ces établissements et au patronat bancaire en général.
Le sujet est à ce point sensible que de nouvelles consignes, inédites et surprenantes, viennent d’être données aux enquêteurs de la DGCCRF, par leur direction générale, pour étroitement encadrer leurs investigations futures.
Un courrier électronique, dont Le Monde a eu copie, a ainsi été adressé, le 17 avril, par le patron de la direction nationale des enquêtes (DNECCRF) à l’ensemble des chefs de service en région, pour leur demander de « (faire) remonter les renseignements nécessaires à l’information du cabinet du ministre », « quelques jours avant les opérations de visite et saisies ».
La direction demande aux enquêteurs de « préciser également » s’ils prévoient « lors de l’opération, d’intervenir dans le bureau du principal dirigeant de l’entreprise et, dans l’affirmative, indiquer son nom ».
UNE DIZAINE DE PLAINTES
Ces directives créent un vif émoi à la DGCCRF, à Paris et en région. « La bonne fin des enquêtes est compromise. Dès lors qu’une personne ou une entreprise est avertie d’une perquisition, elle détruit les preuves », commente un responsable qui requiert l’anonymat. D’où vient la consigne, s’interrogent les enquêteurs, de Bercy ? De Matignon ? De l’Elysée ? Veut-on limiter le contrôle de la concurrence ?
De source proche du dossier, l’enquête sur les banques, qui reste en cours, est l’une des plus lourdes qu’ait eue à conduire la DGCCRF. Elle a mobilisé, sur le terrain, 76 enquêteurs de la DGCCRF et 34 officiers de police judiciaire, qui ont procédé à 25 opérations de visite d’agences, de caisses régionales et de sièges nationaux d’établissements ainsi qu’à des saisies de documents.
Ces documents - il s’agit de notes internes, de dossiers de clients, d’échanges de courriels internes ou externes - sont en cours d’analyse. Leur examen devrait permettre de dire s’il y a eu ou non entente entre les banques concernées, pour limiter, voire empêcher, la renégociation d’anciens crédits immobiliers à de meilleurs taux, à l’avantage des emprunteurs.
Une dizaine de plaintes avaient été déposées par des particuliers habitant l’ouest et le centre de la France dans les permanences « consommation » de la DGCCRF. Ceux-ci s’étaient vu refuser d’engager des négociations sur la baisse des taux de prêts, par leur banque ou par une banque concurrente, certains ayant même subi des refus justifiés par la référence à un accord régional. Ces plaintes pouvaient donc laisser présumer de l’existence de pratiques anticoncurrentielles.
Les banques, toutefois, contestent qu’il y ait eu entente et assurent qu’elles coopéreront à l’enquête de l’administration. Le président du Crédit mutuel, Etienne Pflimlin, parle d’une « manipulation » et d’une « histoire parfaitement bidon », « en tout cas en ce qui concerne le Crédit mutuel ».
En 2000, six grandes banques avaient été condamnées par le Conseil de la concurrence à une amende record (173,7 millions d’euros), pour avoir conclu un pacte de non-agression sur les crédits immobiliers.
« Tout ce qui touche les banques est très sensible, témoigne un haut fonctionnaire. Les banquiers ont le sentiment d’appartenir à une place financière et d’avoir, à ce titre, des intérêts communs à défendre. En 2000, ils expliquaient de bonne foi qu’en ne baissant pas leurs taux, ils avaient protégé la place de Paris d’une bulle immobilière. »
Anne Michel
Article paru dans l’édition du 11.05.08
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