20 novembre 2005
Les violences urbaines qu’a connues la France ont révélé une situation de conflit de basse intensité. La mise au défi des pouvoirs publics signifie que l'heure est à la confrontation, et qu’une guerre civile d’un nouveau genre est inévitable. Voitures incendiées par centaines, affrontements avec la police, saccage des transports publics ou destructions d'écoles : les images issues des banlieues françaises ces dernières semaines sont celles d'une rébellion longtemps redoutée, d'un embrasement qui trahit des ruptures et des antagonismes profonds. L’instauration de l’état d’urgence pour 3 mois, par l’activation d’une loi datant des « événements » d’Algérie puis par l'adoption d'un décret spécifique, souligne la gravité de la crise.
«... Ce continent connaîtra bientôt une guerre différente, une intifada communautaire et générationnelle, une succession d'affrontements ponctuels et épidermiques, greffés sur le lent corps-à-corps des identités. »
Pourtant, la France n'est pas le seul pays européen à connaître de telles violences, et le Danemark, la Suède, la Belgique ou encore la Grande-Bretagne subissent régulièrement des événements similaires dans leur déroulement, à défaut de l'être dans leur intensité. Et les implications de ce phénomène, qui se produit chaque jour à un seuil trop bas pour capter l’intérêt volatile des médias, doivent aujourd'hui être cernées.
A l’aube de la guerre
Sur le terrain, la situation a l'avantage d'être claire : des bandes souvent très jeunes, armées de projectiles divers, de cocktails Molotov et parfois d'armes à feu, se sont livrées à des razzias opportunistes qui ont occasionné des destructions considérables. Du 27 octobre au 18 novembre, 9071 véhicules ont été brûlés et au moins 2921 personnes interpellées, dont plus d’un tiers de mineurs ; au total, 655 individus ont été écroués, dont 115 mineurs, et 411 condamnations a de la prison ferme ont été infligées. Plus de 10'000 policiers et gendarmes ont été déployés pour leur faire face, et des réservistes de la gendarmerie – malgré une capacité opérationnelle limitée – ont même été mobilisés.
Les membres des forces de sécurité n’ont d’ailleurs pas eu la partie facile, et 126 d’entre eux ont été blessés, parfois dans de véritables embuscades. A Grigny, un contingent arrivé sur les lieux d’un incendie annoncé par un coup de téléphone anonyme a ainsi été attaqué à coups de fusils de chasse, d’armes incendiaires et de pierres par plus d’une centaine d’agresseurs qui ont démontré une volonté de blesser ou tuer. Utilisant le téléphone portable, les weblogs et le courrier électronique pour la préparation et la coordination de leurs actions, ces groupes sont souvent parvenus à se jouer des compagnies de CRS dépêchées pour reprendre le contrôle des quartiers dits difficiles. Les forces de sécurité au sens large, issues de la police, de la gendarmerie et même des corps de sapeurs-pompiers, sont d'ailleurs régulièrement prises à partie comme des forces d'occupation, comme des organisations illégitimes dont la présence à elle seule est une provocation. Les « territoires perdus de la République », qui trouvent leurs pendants dans presque chaque nation européenne, sont des zones où les lois et les valeurs de la France ont été remplacées par d'autres lois et d'autres valeurs ; des territoires étrangers où l'autorité se partage entre les « grands frères », les caïds et les imams, alors que le policier, le pompier ou encore l'instituteur ne sont plus que les figures méprisées d'un système rejeté en bloc. L'embrasement actuel des banlieues françaises n'est ainsi pas une surprise. Depuis les années 70, une succession d'erreurs, d'illusions et de lâchetés a abouti à la fabrication d'un véritable ennemi intérieur. Le laxisme en matière d'immigration, conjugué à une ségrégation physique et économique, a jeté des populations déracinées dans des ghettos bétonnés. Le déclin du civisme a permis à une économie souterraine illégale de parasiter ces ghettos et de consacrer ses comportements. Le mythe du métissage culturel a laissé une contre-culture hip-hop diffuser sans restriction des hymnes à la haine anti-française et des appels à l'insurrection armée. Enfin, le relativisme moral a donné aux organisations islamistes l'opportunité de promouvoir puis d'imposer leurs valeurs. Ce continent connaîtra bientôt un conflit dont il sortira transformé, et dont les premiers coups ont sonné. Ce sera une guerre différente, à la fois subversive et symbolique, déclarée et décentralisée, intermittente et intense, qui verra le chaos et l'intégrisme s'allier pour combattre la normalité. Une intifada communautaire et générationnelle, une succession d'affrontements ponctuels et épidermiques, greffés sur le lent corps-à-corps des identités. Une alternance de séismes assez intenses pour blesser profondément et assez espacés pour faire douter de leurs prochaines occurrences. Un duel que devront mener les Etats de droit pour préserver le contrôle du territoire, la stabilité de la société, la légalité des marchés et la liberté des esprits. Autant dire un défi mortel. |