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France : les scénarios de la catastrophe
FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - La France est-elle une cocotte-minute sur le point d'exploser. C'est ce que pense l'essayiste Serge Federbusch. Dans Français, prêts pour votre prochaine révolution ?, il décrit les trois scénarios de notre avenir proche. Deux sont catastrophiques. Le pire, c'est que c'est crédible!
20/06/2014
Propos recueillis par Guillaume Perrault
Ancien élève de l'Ecole nationale d'administration, Serge Federbusch est magistrat administratif. Il a travaillé pour le ministère des finances, le quai d'Orsay et la ville de Paris. Président du Parti des Libertés, ancien élu du Xe arrondissement de Paris, Serge Federbusch anime Delanopolis, site d'information satirique consacrée à la vie politique dans la capitale.
Français, prêts pour votre prochaine révolution? , est publié chez Ixelles éditions (271 p., 17,90€).
LE FIGARO: en quoi la France de 2014 vous paraît présenter
des analogies avec les cas d'effondrement par désagrégation interne que
la France a connus?
Les analogies sont nombreuses. Le déficit et la dette
publics représentent à peu près les mêmes masses financières, par
rapport à la richesse du pays, qu'en 1788. La crise budgétaire est
ouverte et rien ne semble pouvoir l'enrayer. Le gouvernement a perdu sa souveraineté,
son autonomie, en matière de politique monétaire et financière. En
1788, on subissait encore la conséquence de la banqueroute de Law, près
de 70 ans plus tôt. Calonne, qui s'était essayé à manipuler le titrage
en or des louis et ducats, avait été accusé de fraude, presque de crime
contre le bien public. De nos jours, l'Etat est dépendant des décisions
de Bruxelles et de la Banque centrale européenne. Hier comme
aujourd'hui, la perte de crédit et de prestige du souverain et de son
gouvernement sont considérables. L'affaire du collier de la reine avait
beaucoup miné l'autorité royale. Quantité de libellistes écrivaient sous
le manteau des textes d'une hostilité farouche au roi et à la reine. De
même, aujourd'hui, nombre de blogueurs critiquent le pouvoir. Les journalistes ne sont plus ni écoutés ni respectés, mais au contraire pris à partie. La frustration générale de l'opinion, la montée du chômage,
la stagnation du pouvoir d'achat par habitant depuis bientôt dix ans se
constatent aux deux époques. Comme en 1788, le pouvoir n'est plus obéi
ni respecté. La paralysie de l'Etat s'aggrave de mois en mois. Il n'est
même plus capable de régler une question aussi secondaire que celle des
portiques écotaxe. Le système centralisé, clientéliste et corporatiste a
vécu, en 2014 comme en 1788. Reste à savoir d'où viendra l'étincelle.
Je pense que ce sera la crise de l'euro ou une dissolution ratée, ou
encore les deux à la fois, qui rendront le pays ingouvernable.
La
France, écrivez-vous, a «cherché à tirer parti des avantages de la 3e
révolution industrielle (…) sans en payer le prix»: en quoi?
Depuis plus de trente ans, les Français sont atteints de schizophrénie. Comme consommateurs, ils bénéficient de la baisse du prix de nombreux biens et services grâce à ce qu'on nomme «mondialisation». Comme producteurs,
nombre d'entre eux ont vu leurs emplois disparaître ou leurs salaires
stagner du fait de la concurrence internationale. Jusqu'à présent, la
France a plus ou moins réussi à avoir le beurre et l'argent du beurre.
Le développement de l'emploi public et de la dette a permis à une large
majorité de la population de bénéficier de cette situation davantage
qu'elle n'en souffrait. Mais aujourd'hui, il faudrait commencer à
rembourser. Et le système ne tient que parce que les prêteurs pensent
que, derrière la France, il y a la discipline germanique qui nous
protège. Mais c'est un baril de poudre près d'un brasier.
Vous n'êtes pas tendre pour la haute fonction publique, vous qui avez fait l'Ena…
La
France souffre d'une boursouflure du système politico-administratif
français dans ses rapports avec les corporations. Le noyau du système
dirigeant est une sorte de duopole qui comprend élus à vie et hauts fonctionnaires.
Ils s'appuient sur une administration dilatée et gouvernent par des
accords avec les corporations et les cadres des grandes entreprises.
Mais les dirigeants de ces deux dernières sont plus solidement installés
que les politiciens, ce qui finit par fragiliser l'Etat. On retrouve
ici un trait commun à tous les régimes français depuis plus de deux
siècles: il est difficile de concilier gouvernement centralisé, régime
économique libéral et parlementarisme de circonscriptions. S'y substitue
donc un dialogue direct entre pouvoir exécutif et corporations qui
finit par être paralysant car il n'existe pas d'arbitre légitime à leurs
inévitables désaccords. C'est ce qui explique, au fond, les déboires
actuels de Hollande qui affronte le stade terminal de cette évolution
délétère.
Bruxelles: bouc émissaire de nos difficultés ou vrai coupable?
Les
deux, forcément! L'Etat s'est servi du prétexte européen pour tenter de
résister à certaines pressions corporatistes et a trouvé des
subventions allemandes repeintes aux couleurs de l'Europe pour faciliter
les délicates mutations du monde rural français. Par la suite, le
marché financier européen a permis d'obtenir des financements plus
abondants et de s'endetter à moindre coût. Mais le prix à payer était la
monnaie unique.
Sinon les marchés auraient continué à attaquer le franc, la peseta et
le lire en faisant monter le mark. Aujourd'hui, l'euro agit comme un
noeud coulant autour de l'économie française. Toute réforme de structure
«vertueuse» est rendue vaine par la montée du taux de change de l'euro
qu'elle entraîne. En effet, les marchés en espèrent un redressement
budgétaire dans la zone euro, qui contraste avec la situation
américaine, anglaise ou japonaise. Nous sommes entrés dans l'euro
avec un taux de change du franc surévalué. Les Allemands, qui
d'ailleurs jouent des délocalisations en Europe de l'Est pour améliorer
leur compétitivité, ont pu dès le départ accroître la productivité de
leur industrie. Depuis plus de dix ans, ils progressent surtout aux
dépens des économies sud européennes, notamment celle de la France.
Cette situation est perverse et sans issue.
Vous imaginez trois scénarios pour l'avenir proche. Le premier: Hollande est un nouveau Louis XVI. Que pourrait-il se passer?
C'est
un scénario tout à fait plausible. Face à l'échec quasi assuré des
mesures de redressement budgétaire, entre autre en raison de la
persistance d'un euro surévalué qui déprime l'activité, Hollande, tôt ou
tard, sera sommé de mettre en oeuvre de vraies mesures d'austérité.
Il ne le voudra ni ne le pourra car un nombre croissant de députés
socialistes préfèreront «tomber à gauche», comme on disait sous la
Quatrième République. Du reste, Hollande se dira que sa seule chance
d'être réélu est une cohabitation. Comme le niveau atteint par le Front national conduira
à de nombreuses triangulaires, la victoire de l'UMP sera étriquée. Si
la droite est maligne d'ailleurs, elle refusera de constituer un
gouvernement tant qu'Hollande n'aura pas démissionné. Bref, on sera en
pleine crise de régime avec un budget en capilotade. Rien ne s'opposera
plus à une remontée des taux d'intérêt et une spirale de troubles
politiques, économiques et sociaux. Les prétextes à une explosion ne
manqueront pas: regardez déjà du côté de la SNCF, des banlieues ou des
intermittents.
Rêvons un peu: un de Gaulle se présente. Quelle feuille de route lui donnez-vous?
Terminer
ce qui a été commencé en 1958 et 1962 avec les moyens nouveaux dont
dispose la démocratie. S'appuyer sur un recours régulier au référendum,
diminuer drastiquement le nombre d'élus et surtout empêcher que
quelqu'un vive toute sa vie de politique. Réformer la chose publique
pour réduire le poids de l'Etat, libéraliser au maximum le
fonctionnement de l'économie et, dans l'immédiat, taper du poing sur la
table pour que l'euro se déprécie d'au moins 40 % faute de quoi tout
ceci ne sera pas possible. Si nos partenaires refusent, il faudra
quitter l'euro, quelle qu'en soit la difficulté. C'est une question de
survie. Ou alors, préparez-vous à la guerre civile: je ne pense pas que Marine Le Pen soit
en mesure de faire face à cette situation avec un programme inspiré de
celui du parti communiste des années 1970 et alors qu'une part très
importante de la population est prête à l'affronter durement.
Le
scénario catastrophe: un régime autoritaire, fût-il éclairé, à savoir
un nouveau Napoléon III. En quoi cette hypothèse n'est pas à exclure?
La
nature politique a horreur du vide. Il faut bien que la société
fonctionne et les esprits me semblent d'ailleurs, aujourd'hui,
étrangement en attente d'une reprise en main ferme par le pouvoir. Ce
n'est pas étranger au succès qu'avait connu Sarkozy
en 2007. La France est restée frustrée de ce candidat dont le mandat
semble avoir bifurqué, un quart d'heure et cinquante mètres de marche
après son élection, d'une procession gaullienne sur les Champs Elysées à
un pot entre amis au Fouquet's.