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25 Mai 2010
«Des enfants meurent à cause des gangsters de la Bourse »
Jean Ziegler
La crise t’a surpris ?
Dans sa violence,  oui. Je ne pensais pas que les truands de la finance allaient ruiner  l’économie mondiale à une telle vitesse : 1.800 milliards de valeurs  patrimoniales ont été détruites. Pour les pays du tiers-monde, c’est une  catastrophe totale. Mais aussi pour les pays industrialisés.
Ce  sont encore les pauvres qui paient ?
Oui. Le 22 octobre 2008,  les quinze pays de l’euro se sont réunis à Paris. Sur le perron de  l’Elysée, Merkel et Sarkozy ont dit : « Nous avons libéré 1.500  milliards d’euro  pour le crédit et pour  augmenter le  plafond  d’autofinancement de 3 à 5% ». La même année, les mêmes pays  européens ont réduit leurs subventions pour le programme alimentaire  mondial (qui ne vit que de ces subventions) de 40 %. De six milliards de  dollars à moins de quatre milliards. 
Ce qui fait qu’au Bangladesh,  on a supprimé les repas scolaires. Un million d’enfants  sont gravement  et en permanence sous-alimentés. Ces enfants meurent donc à cause des  gangsters de la Bourse. Il y a là des morts véridiques. Les  spéculateurs, aujourd’hui, devraient être jugés au tribunal de  Nuremberg.
Quelle leçon les puissants ont-ils tiré de la  crise ?
Aucune. Prenons l’exemple de la Suisse. Le contribuable  suisse y a payé 61 milliards de dollars pour le sauvetage de la plus  grande banque : UBS. L’an dernier, en 2009, les dirigeants d’UBS,  toujours proche de la  faillite, se sont distribués entre eux des bonus  pour quatre milliards de francs suisses ! Le pillage est total et  l’impuissance des gouvernements qui se comportent comme des mercenaires  est totale aussi. En tous les cas, en Suisse, en France, en Allemagne où  j’ai quelques renseignements. C’est un scandale permanent. 
Le  masque néolibéral est tombé évidemment, avec sa prétendue légitimité.  Mais le cynisme et  l’arrogance des banquiers triomphent totalement.
Et du côté du public, sens-tu une évolution ?
Non,  si tu regardes les chiffres, ils sont catastrophiques. Toutes les cinq  secondes, un enfant meurt de faim. 47.000 personnes meurent de faim tous  les jours. Un milliards de personnes (c’est-à-dire un homme sur six)  sont gravement et en permanence  sous-alimentés. Alors que l’agriculture  mondiale dans l’état actuel de son développement pourrait nourrir sans  problème douze milliards d’êtres humains avec 2.700 calories par  individu par jour ! Donc, au début de ce siècle, il n’y a plus aucune  fatalité. Un enfant qui meurt de faim, au moment où nous parlons, est  assassiné. C’est catastrophique. 
L’ordre mondial du capital  financier globalisé est meurtrier - épidémie, décès par la pollution de  l'eau , etc… - et en même temps absurde : il tue sans nécessité. C’est  l’ordre des oligarchies et du capital financier mondialisé. Sur le plan  de la lutte contre la faim, l’échec est total.
Tu as été, de  2000 à 2008, le rapporteur des Nations-Unies sur le problème de la faim  dans le monde. Quel bilan tires-tu ? As-tu servi à quelque chose ?
Oui.  La conscience a augmenté. Plus personne aujourd’hui, ne considère ce  massacre quotidien comme un fait de la nature. On va en Europe, je  crois, et en tout cas dans les pays de la périphérie vers une  insurrection des consciences. Il faut une rupture radicale avec ce monde  cannibale.
Alors que le problème de la faim n’est pas résolu,  on dépense de plus en plus pour faire la guerre.
En 2005, pour  la première fois, les dépenses mondiales d’armement (pas les budgets  militaires, juste les dépenses  d’armement) ont dépassé mille milliards  de dollar par an. Nous vivons dans un monde d’une absurdité totale.
Obama  avait pourtant fait de belles promesses… 
Il est vrai qu’Obama  suit totalement la surdétermination de l’Empire. Je ne l’ai jamais  rencontré, c’est sûrement quelqu’un de bien, mais la réalité qu’il  affronte est effrayante. Les Etats-Unis restent la plus grande puissance  industrielle au monde : 25 % des marchandises industrielles sont  produites  par eux, avec pour matière première le pétrole : 20 millions  de baril par jour dont 61% sont importés. On peut l’importer de régions  comme le Moyen-Orient ou l’Asie centrale, ce qui les force à maintenir  une force armée totalement hypertrophiée, et le budget fédéral est donc  complètement parasité par les crédits militaires… Mais telle est la  logique de l’Empire.
Quel est ton sentiment sur ce qui se  passe maintenant en Israël et comment cela peut-il évoluer ?
Je  pense que Tel-Aviv dicte la politique étrangère des Etats-Unis avec le  lobby de l’AIPAC, comme puissance déterminante.
Avant les  politiciens, ce sont quand même d’abord les multinationales pétrolières  qui décident d’armer Israël.
Oui, la logique fondamentale est que  pour les intérêts pétroliers, il faut un porte-avion stable. Et l’Etat  d’Israël mène - ce n’est pas moi qui le dit, c’est un rapporteur spécial  des territoires occupés - une politique permanente de terrorisme  d’Etat. Tant que ce terrorisme continue, il n’y aura pas de paix au  Moyen-Orient, il n’y aura pas de fin au conflit Iran - Irak, ni rien du  tout. Tout est sans issue sauf si enfin l’Union européenne se  réveillait, tu comprends ?
Que pouvons-nous faire, nous  Européens, pour la réveiller ?
Depuis juin 2002, existe un accord  de  libre échange entre Israël et les 27 pays de l’Union européenne qui  absorbent 62% des exportations  israéliennes. Dans cet accord,  l’article 2 (c’est le même dans tous les traités de libre échange) dit :  le respect des droits de l’homme par les partis contractantes est  la  condition pour la validité de l’accord. Mais les violences faites aux  Palestiniens - vol de la terre, torture permanente, éliminations  extrajudiciaires, assassinats, organisation de la sous-alimentation  comme punition collective – tout cela, ce sont des violations  permanentes des droits de l’homme les plus élémentaires. Si la  Commission européenne suspendait pendant 15 jours l’accord de  libre-échange, les généraux israéliens reviendraient à la raison  immédiatement. Or, l’Europe des 27, ce sont des démocraties, c’est à  nous de jouer, nous opinions publiques.
Comment ?
Il  faut forcer nos gouvernements. Nous ne sommes pas impuissants. En  Belgique, il y a beaucoup de problèmes, en Suisse et en France aussi.  Mais une chose est certaine : les libertés publiques existent. Il faut  se saisir de ces libertés publiques pour imposer à nos gouvernements un  changement radical de politique, c’est tout. S’ils ne le font pas, alors  il ne faut plus voter pour eux, tu comprends, c’est aussi simple que  ça !
Mais tous ces gouvernements sont d’accord de soutenir  Israël. En France, par exemple, que ce soit l’UMP ou le PS, ils  soutiennent Israël.
Soutenir la sécurité et la permanence  d’Israël, c’est une chose. Mais cette complicité avec le terrorisme  d’Etat et la politique de colonisation, ce n’est pas possible. C’est la  négation de nos valeurs, c’est « du fascisme extérieur » : c’est-à-dire  que nos valeurs sont démocratiques à l’intérieur de nos frontières et à  l’extérieur, nous pratiquons le fascisme par alliance.
Et  enfin, le rôle des médias dans tout ça ?
Ils sont complètement  soumis. Notamment en période de crise, les journalistes ont peur pour  leur  emploi. L’agressivité du lobby israélien est terrible. Moi, j’ai  subi la diffamation la plus effroyable, et ça continue aux Nations-Unies  d’ailleurs, c’est grâce à Kofi Annan que j’ai survécu. Israël est un  danger pour la paix du monde, Israël cause d’effroyables souffrances. Et  dans ce pays, les opposants comme Warschawski sont complètement  marginalisés. Mais si l’opposition israélienne anticoloniale et  anti-impérialiste n’a pas la parole, n’a pas d’influence, eh bien, nous  allons vers la catastrophe. Il faut soutenir les opposants.
Et  le rôle des médias à propos de la crise ?
La crise est présentée  comme une fatalité, une catastrophe naturelle. Alors que les  responsables sont identifiés !
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